EYES ON FASHION - Olivier Châtenet
Styliste, directeur artistique, collectionneur, il a ouvert en 2020 In Situ, à Paris, un lieu entièrement dédié au vintage principalement 70 à 90, d’Yves Saint Laurent à Gianfranco Ferré, Giorgio Armani, Versace, Issey Miyake. Rencontre avec un passionné qui sans être nostalgique, garde les yeux ouverts sur son époque.
« On ne peut pas continuer à se mettre des œillères »
On assiste depuis un moment à une extraordinaire mise en avant du « vintage ». Comment analysez-vous phénomène, et est-ce que la mode, qui va dans ce sens, vous séduit-elle ?
C’est plus qu’un phénomène. On assiste à quelque chose de définitif : un changement dans les modes de consommation qui vient rejoindre celles que nous avions notamment en matière d’objets, de mobilier. A quatorze ans, j’adorais les fripes. Mais la seconde main n’était pas bien vue. Cela voulait dire qu’on n’avait pas les moyens. Dans un certain milieu, cela ne se faisait pas. La collection Rétro de Saint Laurent a accompagné un phénomène initié par des personnalités à la pointe, comme Paloma Picasso. Aujourd’hui, j’ai deux enfants, de 30 et 28 ans, ils sont complètement là-dedans, l’un comme l’autre s’habille très principalement en vintage. Il n’y a pas de raison que cela s’arrête. Parce que c’est une autre manière de s’exprimer, et parce que sur le marché du « neuf », le ratio entre la qualité et le prix n’est pas là.
Avez-vous une raison d’être optimiste pour l’avenir de la mode ?
La mode a toujours été le reflet d’une époque. Aujourd’hui, la mode est dans un moment difficile, parce que nous vivons une époque difficile. Il y a des choses très positives, à travers la réelle démocratisation de la communication par les réseaux. Il est plus facile aujourd’hui quand une voix à faire entendre, d’exprimer quelque chose. Et le vintage permet à un plus grand nombre d’accéder à des pièces de qualité.
En quoi à votre avis, l’intelligence artificielle est-elle bénéfique pour la mode ?
L’intelligence artificielle est loin de moi, et loin de ce que j’aime dans la mode. Je préfèrerais entendre parler de sensibilité artificielle…Je demande à voir.
Quel est, à ton avis, le plus grand changement de la mode ces dernières années, et cette année en particulier ?
Le grand phénomène, c’est encore une fois la démocratisation de la mode et le low cost…Reste la communication : on ne regarde plus la mode en direct, on regarde d’abord un écran. Les gens créent des vêtements en fonction des images qu’on pourra faire avec. Je ne retrouve pas actuellement de très grands talents capables de produire des révolutions, ou plus des vagues dignes de celles d’Azzedine Alaïa, ou de Margiela : ceux qui changeaient tout, l’œil, l’esprit, la mentalité.
Ton fashion mantra pour 2025 ?
La mode devrait essayer de contourner sa posture individualiste pour aller vers quelque chose qui incarne un intérêt commun. Il y a cinquante ans, on était encore dans une insouciance qui justifiait cette attitude. Mais là…Ce que je souhaite, c’est moins de nombrilisme. On aime tous plaire et se plaire, les mécanismes de la séduction m’intéresseront toujours, mais c’est compliqué dans le contexte actuel. Je trouve que la mode rate un peu la marche, en manquant d’ouverture. On ne peut pas continuer à se mettre des œillères. J’ai encore envie d’être émerveillé.
Comment te situes tu aujourd’hui dans l’univers de la mode ?
Je suis très satellitaire. Je retourne à mes premiers amours : le vêtement.
Propos recueillis par Laurence Benaïm.