Julien Fournié : « Sublimer l’unicité de chacun, c’est l’essence même de la Haute Couture. »

« En seize ans de Maison et d’indépendance, je pense que c’est la collection qui me définit le plus. » confie Julien Fournié qui présente cette saison « The First Circus – The Outrageous Show », à l’occasion de ses cinquante ans. « Ma vie est un cirque ! Et je veux montrer qu’à n’importe quel âge, on peut toujours se réinventer. » Julien Fournié, fondateur, directeur artistique et président de sa Maison, porte sa sensibilité et ses émotions au grand jour à travers ses créations. « Nous sommes une Maison indépendante. Personne ne m’impose quoi que ce soit, ce qui me permet d’être dans une liberté créative totale. »  

« Je n’ai pas été la star de l’école. Je préférais jouer au piano plutôt qu’au football et m’habiller en Prince de Galles. » 

Cette collection est un clin d’œil à l’enfant timide, retranché dans sa propre bulle, incapable de s’arrêter de dessiner, de créer. « Chez mes parents, je passais des heures à jouer seul avec mes personnages, des petites figurines qui m’ont accompagné et qui me préservaient du monde réel. Aujourd’hui, pour mes 50 ans, je veux leur rendre hommage et leur donner vie sur le podium. » Julien Fournié présente ainsi une galerie de personnage, comme si une bonne fée était venue réaliser son rêve le plus cher étant petit. « Il y aura des super-héros, des aliens, Alice et les animaux fantastiques, des Stormtroopers, des sorcières et des sorciers… Et des danseurs ! Que des freaks ! ». L’appellation « show », équivalent anglophone du « défilé », prend ici tout son sens, dans la droite lignée des grands maîtres auprès de qui Julien Fournié a fait ses armes : John Galliano chez Dior, Jean Paul Gaultier, Alexander McQueen chez Givenchy. « C’étaient mes papas », dit-il en souriant. « C’est à leurs côtés que j’ai eu mes premières préhensions avec la mode. » 

« Tim Cook est venu visiter l’atelier. C’était un moment d’échange formidable. » 

« La Haute Couture, c’est la tradition mêlée à l’innovation. » affirme Julien Fournié, qui n’a cessé tout son parcours de perpétuer l’excellence du savoir-faire traditionnel en la mariant aux outils contemporains. « L’innovation, je l’ai approché dans un premier temps en dématérialisant totalement mon processus créatif. Nous créons en 3D et tous nos dessins, même les dessins de broderie, sont créés sur tablette. J’ai beaucoup d’atavisme pour les nouvelles technologies. » Dès 2010, son année d’entrée au Calendrier Officiel de la Semaine de la Haute Couture en qualité de Maison invitée, il noue un partenariat avec Dassault System, éditeur de logiciels spécialisé dans la conception 3D. Depuis, les matériaux et les textures sont conçues sans construction de prototype physique. Une démarche durable, qu’il applique également dans ses choix de matériaux : « Je suis un fou de vintage, je passe ma vie à acheter des tissus des années 30 et 40. C’est pour ça qu’on a des tissus formidables. » 

« En 2017, Tim Cook est venu visiter notre atelier. Il devait passer 30 minutes et il est resté plus de 3 heures. On continue à entretenir des liens très étroits et j’ai l’opportunité de toujours pouvoir tester les nouveaux logiciels ou mediums créatifs. » Invité en 2020 aux Etats-Unis pour visiter les locaux d’Apple et découvrir les nouveautés, Julien Fournié reste à l’affût des avancées technologiques qui lui permettent ensuite d’explorer de nouvelles voies d’expression.  

« Lorsque j’ai obtenu l’appellation Haute Couture en 2017, le Graal, ma vie a complètement changé. » 

Le Calendrier Officiel de la Semaine Haute Couture regroupe trois typologies de Maisons. Les Membres Haute Couture, seuls à même à bénéficier de l’appellation juridiquement protégée Haute Couture qui implique une excellence et une rigueur du respect de critères stricts. Les Membres Correspondants, dont les ateliers sont situés à l’étranger, et les Maisons invitées, soigneusement sélectionnées chaque saison par le Comité de la Haute Couture. La Maison Julien Fournié, invitée dès 2010, obtient « le Graal » en 2017. « C’était incroyable mais je n’ai pas eu le temps d’en profiter tellement j’ai été happé par ce qui m’arrivait. J’ai été appelé par la reine du Qatar, des clientes importantes nous ont commandé des robes. Il fallait assurer, parce que la chance ne passe qu’une fois. À ce moment-là, ma vie a complètement changé. » 

« Nos métiers, c’est de sublimer l’unicité de chacun, de souligner la plus belle chose de chaque personnalité et de la pousser vers son identité personnelle. » C’est l’un des principes fondamentaux de la Haute Couture, de réaliser des pièces uniques adaptées à chaque personne, « non seulement à son corps mais aussi à ses goûts. » Ce travail titanesque, Julien Fournié l’a mené en équipe. « On ne fait rien seul. Je n’ai pas d’ego, je suis chef d’orchestre. » A ses côtés à l’atelier, Jacqueline, première d’atelier à 77 ans. « C’est une femme formidable. C’était la seconde d’atelier chez Torrente lorsque j’étais directeur artistique. Un jour, je l’ai appelée pour lui dire que j’allais monter ma Maison, elle m’a répondu immédiatement « Je suis là demain avec ma machine à coudre. » C’est une femme pétulante qui me rassure et me donne confiance. » confie-t-il les larmes aux yeux. S’il est fondateur et directeur artistique de la Maison, Julien Fournié en est également le président, épaulé par « un partenaire formidable, qui s’appelle Jean-Paul Cauvin. Nous avons monté la Maison ensemble. C’est un membre de ma famille et je l’apprécie d’autant plus qu’il me dit toujours la vérité. C’est une qualité rare, mais essentielle. » 

La Haute Couture est un laboratoire d’expression, repoussant les limites du design et de la créativité. Elle est une démonstration d’excellence, une exception parisienne, française, qui porte en elle tout un pan du patrimoine culturel de la mode et de la création. « Mon but, c’est de montrer que la Haute Couture peut faire changer les mentalités, nous faire grandir. » conclut Julien Fournié. « J’aimerais laisser quelque chose, un témoignage, pour les futures générations, pour inspirer ceux qui ont des rêves comme les miens, de les encourager à s’y accrocher. » 

Reuben Attia. 

Crédit photo : Delphine Royer.