Yves Saint Laurent aux musées
Dans son travail, Yves Saint Laurent n’a eu de cesse de transposer sa passion pour l’art dans ses collections. A l’occasion du 60e anniversaire de son premier défilé, six institutions parisiennes accueillent une sélection de ses créations iconiques inspirées par l’art en les faisant dialoguer avec leurs collections permanentes. De la robe Mondrian (1965) au Centre Pompidou aux motifs de jardins baignés de soleil de Bonnard (2001) au Musée d’Art Moderne – mais aussi une présence au Musée du Louvre, au Musée d’Orsay, au Musée Picasso ainsi qu’au Musée Yves Saint Laurent Paris – ce projet ambitieux nous emporte dans un parcours visuel dynamique explorant la passion sans bornes pour l’art du couturier. Mouna Mekouar, commissaire de l’exposition « Yves Saint Laurent aux Musées » avec Stephan Janson et Madison Cox, président de la Fondation Pierre Bergé-Yves Saint Laurent, partage son regard sur cette expérience inédite. Que l’on fasse l’ensemble des expositions ou juste quelques éléments, les visiteurs découvriront comment, d’une interprétation picturale à une autre, son but a toujours été l’“émulation plutôt que l’imitation.”
Comment les six plus grandes institutions de Paris en sont-elles venues à dire oui ?
C’est le génie de Saint Laurent. Si le Louvre a dit oui, si le Musée d’Orsay a dit oui, si le Centre Pompidou a dit oui, si le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris a dit oui, si le Musée Picasso a dit oui : c’est le génie de Saint Laurent. C’est parce que son travail a permis ce dialogue.
Pouvez-vous nous dire comment les créations de Saint Laurent dialoguent avec l’art qui les entoure ?
Le format est très original car nous sommes dans les espaces des collections permanentes. Nous ne sommes pas dans une salle d’exposition temporaire. Et faire partie des collections permanentes, c’est aussi savoir comment dialoguer avec le passé et comment le rendre actuel. Faire en sorte que le public vienne à la galerie Apollon pour visiter mais aussi pour découvrir les œuvres de Saint Laurent et trouver cela très naturel. Il a donc fallu travailler avec finesse, précision et avec l’ensemble des commissaires.
C’est la première fois que les six partagent la même exposition autour d’un même artiste.
Et ce n’est pas un artiste, c’est un couturier. Cette nuance permet une certaine accessibilité et surtout, une relecture. Quand vous visitez les collections permanentes, j’espère que quand vous regardez les robes, bien sûr vous découvrez Saint Laurent, mais vous découvrez à nouveau les tableaux.
Dans chaque musée, il y a un portrait différent de Monsieur Saint Laurent. Cela a-t-il été fait exprès ?
Oui, c’était un choix délibéré et c’est quelque chose que je voulais vraiment faire. Je souhaitais que dans chaque musée, on puisse comprendre le thème grâce au portrait choisi. Au Centre Pompidou, l’idée était de vraiment montrer comment Saint Laurent appartient au XXème siècle et annonce le XXIème siècle. Cette photo de Jeanloup Sieff a fait scandale en 1971 et fait aujourd’hui partie de notre vocabulaire. Au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, nous avons mis le portrait de Warhol, c’est l’idée de la couleur. Il y a la salle Dufy, la salle Matisse, il y a Jacquet… Le but était d’évoquer la couleur chez Saint Laurent. Au musée d’Orsay, on a mis ce magnifique portrait, très peu connu et que j’adore, de Lord Snowdon, où l’on voit Yves Saint Laurent en jean et les nymphéas en arrière-plan. Lord Snowdon a réalisé ce portrait au moment où Saint Laurent a acheté le Château Gabriel en Normandie et ils ont peint tout le premier étage avec des nymphéas.
Cette exposition comporte de nombreux plans d’interprétation. Vous pouvez entrer et regarder les œuvres au premier coup d’œil, en ne voyant que des peintures et des robes. Mais cette exposition est beaucoup plus profonde.
Oui, beaucoup plus. Au musée Picasso, ils ont mis le portrait d’Irving Penn. Vous connaissez le portrait de Picasso par Penn ? Ils sont similaires. On voulait mettre les deux portraits côte à côte mais cela n’a pas été possible. Dans une exposition, il doit y avoir plusieurs lectures. Il y a au moins cinq niveaux de lecture pour chaque objet, et cela permet à chacun de trouver ce qu’il souhaite.
Sentez-vous une âme omniprésente dans ses créations ? Y a-t-il quelque chose de magique en elles ?
Ce qui m’a le plus touché, c’est que le projet fonctionnait en théorie. Intellectuellement et visuellement, sur le papier, tout fonctionnait. Cela étant, il restait le moment de l’installation et de savoir si ça va vraiment marcher. Car c’est dans l’espace, une fois concrétisé, que l’on peut savoir si le projet fonctionne ou pas. Quand j’ai fait l’installation, j’ai été bouleversée en réalisant comment Saint Laurent a su s’intégrer dans tous les siècles. Au Centre Pompidou, on se rend compte qu’il appartient naturellement au XXe siècle. Au Louvre, vous avez l’impression que les vestes ont toujours été dans la Galerie d’Apollon. Quand vous allez voir les robes de Proust et les smokings, vous avez l’impression que cela glisse vers le XIXe siècle, comme si toutes les femmes du XIXe siècle portaient des smokings.
Pourrait-il y avoir d’autres chapitres ?
Oui, mais dans d’autres institutions. Ce serait un rêve absolu de réaliser ce projet avec d’autres musées et dans d’autres villes.
Les musées échangent-ils entre eux ou étiez-vous le lien entre eux ?
Nous faisions la coordination, mais maintenant ce qui est très bien, c’est que le personnel d’un musée va voir les expositions des autres.
Cet entretien a été légèrement modifié pour plus de clarté.