Sylvie Ebel : « La mode est aux avant-postes des changements de la société. »
Directrice générale adjointe de l’Institut Français de la Mode et Présidente du Conseil d’administration de l’association Paris Good Fashion, Sylvie Ebel incarne une vision de la mode comme un levier majeur de transformation durable et sociétale. Convaincue que le changement ne peut s’opérer que par le collectif, les organisations pour lesquelles elle s’engage sont des espaces de rassemblement, d’échanges et d’inclusion.
©Emilie Moutaud
« L’association rassemble tous les acteurs du secteur autour de la même table, du luxe à la grande distribution, des managers aux créatifs. » affirme Sylvie Ebel, élue Présidente du Conseil d’administration de Paris Good Fashion en juillet dernier. L’ambition de l’association, co-fondée en 2019 par Isabelle Lefort et Laure Du Pavillon, est limpide : « Faire de Paris la capitale exemplaire de la mode responsable d’ici 2030. » Sylvie Ebel prend la suite de Sylvie Bénard, par ailleurs Directrice de l’environnement du groupe LVMH de 1992 à 2020. Avec près de 110 membres comprenant notamment les plus grands groupes de luxe français, les grands acteurs de la distribution et les institutions majeures, Paris Good Fashion se distingue par sa capacité à fédérer des acteurs d’envergure et de nature différentes autour de problématiques actuelles. « Les projets émanent pour la plupart des demandes de ses membres. Nous travaillons ensemble. » explique-t-elle. Ainsi, l'association agit comme un point de convergence neutre, loin de tout activisme, « ce qui n’est pas négatif, il faut de la place pour tout le monde, mais ce n’est pas notre positionnement. » Parmi les dizaines de réalisations les plus probantes réalisées depuis son lancement, citons l’étude méthodologique « Act », soutenue par le DEFI et l’Ademe, qui permet à toute entreprise d’auditer son impact environnemental. Son second volet s’intitule « Trajectoire », pour que chaque structure puisse construire sa propre feuille de route vers un objectif commun, dans la droite lignée de l’Accord de Paris. L’association a également composé un glossaire de 355 définitions afin d’établir un langage commun autour de la durabilité.
« Il ne s’agit pas de faire ce que d'autres font déjà. Nous voulons être complémentaires, apporter notre expertise. » L’enjeu, selon Sylvie Ebel, est de rester proche des préoccupations actuelles et futures de l'industrie. Le lancement du Comité Forever Young en janvier dernier, à l’occasion des cinq ans de l’association, marque une volonté de représenter les jeunes générations et d’intégrer leur vision. L’association a désormais fait sa place en tant qu’acteur clé de l’accélération de la transition écologique du secteur. C’est cette même dynamique de rassemblement et d’ouverture que Sylvie Ebel s’est toujours attachée à appliquer à l’Institut Français de la Mode.
« Aucun étudiant diplômé ne sort de l’Institut Français de la Mode sans avoir reçu une formation aux enjeux du développement durable. »
« L’Institut Français de la Mode et Paris Good Fashion ont beaucoup de points communs » souligne-t-elle. L’école est un vivier qui rassemble créatifs, artisans et managers dans un seul et même lieu, où tous les parcours académiques s’articulent autour d’un tronc commun. « Nos étudiants, qu’ils soient en management ou en création, suivent une formation dédiée au développement durable, depuis plusieurs années. Nous avions débuté il y a dix ans, à la demande des étudiants, en programmant une semaine dédiée. Puis nous avons décidé qu’il nous fallait aller plus loin » Sylvie Ebel participe alors activement au recrutement d’Andrée-Anne Lemieux, nommée professeur et Directrice de la chaire Sustainability IFM-Kering en septembre 2019. En plus des cours obligatoires, d’autres options et spécialités sont proposées dans tous les cursus. Andrée-Anne Lemieux, experte reconnue « tant en interne qu’en externe » - et impliquée dans les projets de Paris Good Fashion - dirige également le Certificat Développement Durable Mode et Luxe de l’IFM, qui outille les futurs professionnels du secteur pour intégrer la durabilité à chaque étape de leurs stratégies.
« C’est une chance d’être en prise direct avec les nouvelles générations passionnées par la création. »
En 2019, Sylvie Ebel a co-piloté une transformation majeure : la fusion de l’École de la Chambre Syndicale de la Couture Parisienne et de l’IFM, « notamment grâce à la Fédération de la Haute Couture et de la Mode et ses Membres. À la meilleure Fashion Week du monde devait correspondre la meilleure école du monde. » La même année, Xavier Romatet, ex-Président de Condé Nast de 2006 à 2018, est nommé Directeur Général de l’école pour prendre les rênes de ce qui deviendra dans la foulée l’école de mode de référence à Paris. La présidence du Conseil d’administration de l’école est assurée depuis juin 2022 par Sidney Toledano, administrateur de l’IFM depuis plus de vingt ans.
Déambuler quelques minutes dans les couloirs de l’école suffit pour entendre et observer une diversité de profils exceptionnelle. Soixante-dix nationalités s’y mêlent et échangent, rassemblées autour de la passion pour la création. Une diversité également de milieux socio-professionnels : à titre d’exemple, aujourd’hui, 25% des étudiants en Bachelor en fashion design sont boursiers. Une réalité permise par la Fondation IFM, qui accompagne le développement de la recherche et de l'innovation pédagogique de l’école et lui permet de mettre en œuvre sa politique d’égalité des chances à travers le financement de bourses pour les étudiants. La Fondation est aujourd’hui présidée par Bruno Pavlovsky.
« Je dois dire que nous n’avons que très peu de touristes parmi nos candidats » affirme-t-elle en souriant. « L’École de la Chambre Syndicale avait un excellent niveau en savoir-faire, et l’IFM en management ». Le meilleur des deux mondes réuni, et un fort investissement dans le développement de la filière création, qui place désormais l’école au niveau des établissements les plus prestigieux. « Aujourd’hui, la première source de recrutement pour notre Master en création c’est Central Saint Martins. L’IFM, c’est la promesse d’une excellence académique et d’une expertise professionnelle. On forme à l’employabilité. »
« C’est une industrie complexe, sophistiquée. Bien sûr il y a tout ce qui est très médiatisé, les défilés, la direction artistique, le rêve parfois mirage, mais tout cela n’est que la partie émergée de l’iceberg. »
À l’IFM depuis plus de trente ans, Sylvie Ebel a constaté l’ampleur considérable tant économique que sociale et culturelle qu’a pris l’industrie du luxe. « Le luxe a entraîné tout un secteur. L’IFM s’est créée car il fallait une formation spécifique. Il fallait acquérir du savoir et un langage commun. » Le luxe, la mode et la création sont des moteurs essentiels de l’image de la France et de son rayonnement mondial. Et le poids du secteur dans le CAC40 en témoigne. « Les jeunes qui se tournaient naturellement vers les grandes écoles se sont dit qu’ils pouvaient construire une belle carrière dans cette industrie. L’IFM a joué un rôle de catalyseur et d’accompagnement de cette mutation. »
« J’ai fait partie de la troisième promotion de HEC ouverte aux femmes. »
« Lorsque je dis ça à mes enfants, ils me regardent avec de grands yeux » confie-t-elle. Elle participe activement au lancement de l’association HEC au Féminin bien après l’obtention de son diplôme, « J’étais déjà à l’IFM », se souvient-elle. « Je présidais le groupement Textile et Mode. Lors d’une Assemblée Générale des alumni d’HEC, je me suis retrouvée au milieu de 300 hommes…. et 20 femmes. Lorsque j’ai fait part de mon étonnement, on m’a répondu que le plus souvent, les femmes arrêtaient leur carrière. » Et Sylvie Ebel s’est levée à nouveau pour contredire l’énormité qui venait d’être avancée. L’association HEC au Féminin, renommée We & Men en 2023, continue de croître depuis, de rassembler les diplômées et de nourrir les débats essentiels à la parité et l’inclusion.
En décembre 2022, Sylvie Ebel a reçu la Légion d’honneur des mains de Sidney Toledano à l’IFM, dans ce nouvel espace inauguré presque un an jour pour jour auparavant. « Je tiens à remercier les femmes qui ont fait et font l’IFM. Elles sont la colonne vertébrale de cette maison » rappelait-elle alors. Aujourd’hui elle constate que « le secteur évolue sur le sujet de la parité. « J’ai vu l’évolution qui, heureusement, est importante. La mode est aux avant-postes des changements de la société. »
Le secteur du luxe, de la mode et de la création s’est désormais saisi des enjeux environnementaux et sociétaux majeurs de notre temps. Les différentes régulations, lois et normes en vigueur ou en cours d’activation aux échelles française et européenne régulent le secteur et réaxent ses schémas. Ce travail titanesque se fait par étapes, collectivement, l’acceptation et la promotion de la diversité devenant alors une condition essentielle de ce pivotement. « Bien sûr que l’on doute parfois. Mais on ne peut pas simplement remettre les clés aux jeunes générations et leur dire de se débrouiller. » Pour Sylvie Ebel, il n’a jamais été envisageable de ne pas participer à ce mouvement vers l’avant. « Se déresponsabiliser… Ce côté Ponce-Pilate, je déteste ça », assène celle qui a toujours porté ses valeurs comme des responsabilités à assumer pleinement, en formant les jeunes générations à devenir des acteurs clés du changement, avec rigueur et optimisme.