Actualités

Miles Socha : « La convergence du streetwear et de la mode de luxe a hissé la mode masculine au sommet de son art. »

Interviews

Peu d’observateurs peuvent se targuer d’avoir été aux premières loges de tant de révolutions dans l’histoire contemporaine de la mode. Miles Socha, journaliste et figure centrale de la mode masculine au Women’s Wear Daily depuis plus de deux décennies, est incontestablement l’un d’eux.

Il a débuté sa carrière au Kitchener-Waterloo Record, avant de couvrir le prêt-à-porter masculin pour DNR à New York, un média spécialisé dans la mode masculine. Rejoignant WWD au milieu des années 1990, il s’est attaché à capturer l’essence des grandes mutations stylistiques et industrielles et occupe depuis 2005 le poste de rédacteur international. 

Il était présent lors du premier défilé d’Hedi Slimane chez Dior Homme, capturant en coulisses les réactions d’un Karl Lagerfeld métamorphosé par la silhouette noire et blanche en « I » imaginée par Slimane, une révolution esthétique majeure pour la mode masculine de l’époque. Il a également scruté avec précision l’ascension de Raf Simons, qu’il qualifie d’« architecte émotionnel », et l’effervescence baroque d’Alessandro Michele chez Gucci en 2015, mêlant réflexion radicale sur l’inclusivité et vestiaire post-genre. 

Tour à tour dystopiques, ironiques ou révolutionnaires, Socha explore, avec sa plume acérée, les visions de créateurs tels que Rick Owens, Thom Browne ou Kim Jones. Ses écrits constituent des outils précieux pour comprendre l’histoire contemporaine de la mode masculine. Ici, il revient sur les premiers défilés masculins, notamment un show de Rick Owens, l’événementialisation des défilés homme et leur devenir … 

 

Cette année marque le 40e anniversaire de la Fashion Week Homme de Paris. Qu’est-ce qui, selon vous, contribue à la spécificité de la scène parisienne ? 

Miles Socha- La Fashion Week Homme de Paris regroupe un éventail de talents et de marques venus du monde entier. C’est très sérieux, parfois très intense, et le niveau d’exigence, tant en termes de mise en scène que de créativité, est très élevé. 

 

Vous avez une longue carrière dans la couverture de la mode masculine. Vous avez commencé chez DNR en couvrant le prêt-à-porter sportif — à l’époque, la « mode masculine » était-elle perçue comme de la mode ou plutôt comme une question de style ? 

MS-J’ai couvert la mode au Canada au début de ma carrière, puis en 1995, j’ai rejoint DNR à New York en tant que rédacteur pour le sportswear. J’avais une chronique hebdomadaire appelée Sportscast, et j’ai dû, un peu gêné, demander à quelqu’un ce qu’était exactement le sportswear. À cette époque, les sujets de couverture reflétaient étroitement l’organisation des grands magasins américains : j’ai ainsi appris que le sportswear se distinguait des vêtements de tailleur et englobait tout, des polos de golf aux blazers. À l’époque, la mode masculine conservait encore un aspect de réassortiment et était moins axée sur la mode au sens propre. 

 

Selon vous, quel a été le tournant dans la couverture de la mode masculine à la fin des années 1990 ? 

MS-J’ai commencé à couvrir les défilés masculins européens quand j’ai déménagé à New York en 1995. Je ne me souviens pas du premier défilé homme auquel j’ai assisté, mais je n’oublierai jamais un show de Carol Christian Poell à Milan : des mannequins descendaient d’échelles blanches vêtus de vêtements lacérés sur une musique techno brutale. Je me souviens encore de la musique et des tenues. C’était radicalement différent dans le contexte d’un Milan alors très conservateur. 

 

Depuis 2000, vous êtes chez WWD. Quel était le paysage de la couverture de la mode masculine à cette époque ? Y avait-il un intérêt significatif pour les défilés homme ? Par exemple, c’était l’époque où Hedi Slimane était chez Dior Homme, souvent décrit comme un moment clé dans la redéfinition des silhouettes masculines. Qu’en pensez-vous ? 

MS-Quand Hedi Slimane est arrivé chez Dior Homme, c’était le premier défilé homme que j’ai couvert pour WWD, et l’événement était électrisant, tant pour le public que la coupe slim qu’il a introduite. Cette esthétique a marqué la mode masculine pour des décennies. J’ai écrit sur Karl Lagerfeld qui avait alors perdus 40 kilos, simplement pour pouvoir porter ces costumes épurés. Après le défilé, il m’a confié : « J’en avais assez de porter ces vêtements japonais oversize. J’ai vu que la mode devenait plus pointue, plus nette. » Hedi Slimane crée encore aujourd’hui parmi les meilleures vestes, que ce soit pour hommes ou pour femmes. 

 

Selon vous, quel défilé homme a été le plus choquant ou provocant ? Qu’est-ce qui l’a rendu si mémorable ? 

MS-Outre le show de Carol Christian Poell dont j’ai parlé, le défilé automne 2015 de Rick Owens avec des pénis visibles est un autre moment marquant. Le titre de WWD était Free Willy et j’ai adoré la façon dont le designer a expliqué ses intentions. C’était audacieux, mémorable et subversif de manière ludique. 

 

Quand pensez-vous que la Fashion Week Homme a commencé à susciter un intérêt massif, avec des rues remplies de photographes de street-style et d’influenceurs ? Était-ce dans les années 2010, avec des figures comme Virgil Abloh et Kanye West assistant aux shows, ou même plus tôt ? 

MS-C’est clairement la convergence entre le streetwear et le luxe — avec Demna chez Vetements en meneur, aux côtés de Virgil Abloh et Matthew M.Williams — qui a propulsé la mode masculine dans une nouvelle dimension. 

 

Diriez-vous que la Fashion Week Homme de Paris est devenue un tremplin pour de nombreux jeunes designers ? Qu’est-ce qui en fait un terreau si fertile pour les nouveaux talents ? 

MS-La Fashion Week de Paris attire toujours des talents ambitieux qui veulent présenter leur travail sur la plus grande scène de la mode devant le public le plus influent et prestigieux. 

 

Nous avons également vu une montée en puissance des productions spectaculaires durant la Fashion Week Homme, avec des marques comme Louis Vuitton sous Pharrell Williams ou Dior sous Kim Jones organisant des scénographies grandioses similaires à celles des défilés féminins. Quand ce tournant a-t-il commencé, et comment a-t-il transformé la perception de la mode masculine ? 
 

MS-Avec l’essor des réseaux sociaux et du streaming en direct, les marques ont besoin de présentations plus spectaculaires pour générer du contenu qui se démarque et fait rêver, que ce soit pour le public présent ou pour ceux qui regardent sur leur téléphone. Cela contribue à rehausser le profil de la mode masculine. Hedi Slimane est probablement l’un des pionniers dans ce domaine, car ses défilés donnaient déjà l’impression d’assister à des concerts rock. 

 

Comment percevez-vous la Fashion Week Homme de Paris aujourd’hui ? Y a-t-il des défilés cette saison que vous attendez particulièrement ? 


MS-La Fashion Week de Paris est toujours fascinante à couvrir en raison de sa diversité, de son énergie et des enjeux créatifs élevés. Les défilés Dior et Louis Vuitton sont toujours spectaculaires en raison de la grandeur des productions et des foules pleines de stars, tandis que vous avez les voix audacieuses et indépendantes de Rei Kawakubo, Rick Owens et Yohji Yamamoto. C’est un mélange formidable !