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Marine Billet : « Je suis là pour concrétiser l’immatériel. »

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Artisane-bijoutière indépendante, Marine Billet concrétise les croquis de la Maison Schiaparelli depuis six ans. En expérimentant, explorant et sculptant la matière, elle démontre avec virtuosité que c’est en se parant qu’on se révèle.

Marine Billet 

© Charlotte Debauge

On peut toujours tenter de se convaincre qu’une passion pour le manuel ne s’exprimera qu’en passe-temps, en ligne de fond d’une vie bien rangée. Mais la pulsion créative finit nécessairement par nous envahir et ne plus nous laisser d’autre choix que de l’embrasser pleinement. Architecte de formation, Marine Billet a commencé sa vie d’adulte en tâtonnant. Diplômée de l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Normandie (ENSAN), la jeune femme travaille et s’ennuie. Ce qui l’obsède, ce sont les bijoux, qu’elle collectionne compulsivement. « Je me suis mis à les accumuler. Des Christian Lacroix, Saint Laurent, je fouillais » raconte la créative qui se retrouve au Vietnam dans le cadre de son travail, pour une formation. « J’ai découvert les coiffes, les boucles d’oreille, la magie de l’artisanat. »

 

« Lors de ma reconversion, on me disait que j’étais courageuse, alors que c’était de la survie. » 

 

Toujours en poste, Marine enchaîne les portes ouvertes et se renseigne pour se reconvertir. « Je savais que je voulais faire du manuel. Ce qui me plait dans le bijou, c’est qu’on peut créer  un objet rapidement, de la conception à la réalisation ». Elle jette son dévolu sur l’AFEDAP, une école basée à Paris qui propose un parcours de « Bijoutier Auteur » et qui inclut « non seulement du design mais aussi de la fabrication ». Lorsqu’on fait table rase pour se réinventer et qu’on goûte à la liberté créative, on se laisse emporter, on ne se laisse pas le choix. Elle s’y lance à corps perdu et multiplie les stages. En deuxième année d’étude, elle réalise même une exposition à l’Hôtel Mariott République, sa première collection baptisée « Paris je te veux ». « Je me suis promenée dans Paris et j’ai moulé un lampadaire, un relief sur le sol… ». Les liens entre l’architecture et la bijouterie se confondent sur le travail de la matière : elle s’extirpe peu à peu de sa première vie. A cette période, elle découvre le terme « parurier », qui désigne une personne - ou un industriel - qui fabrique et vend des accessoires utilisés en confection et couture. C’est la révélation : « C’était le métier de mes rêves ! » se souvient-elle en levant les mains en l’air, l’émotion toujours palpable de celle qui venait, enfin, de trouver sa voie. 

 

« J’ai tapé à toutes les portes »

 

Elle réalise également un stage auprès de Philippe Grand, parurier prestigieux ayant réalisé bijoux et accessoires pour les plus grands noms du secteur, dont Christian Lacroix, Jean Paul Gaultier, Givenchy, Louis Vuitton.  « Avec Philippe Grand, j’ai plus appris en un mois qu’en un an, j’ai découvert des techniques différentes. » Ces noms de l’ombre que l’industrie connaît et se partage sous le manteau. 

Un jour, après avoir sonné chez Schiaparelli, « on accepte finalement de me donner une adresse mail. » On lui explique alors qu’une personne est déjà en poste au studio, mais on lui donne une première mission : « on m’a proposé de réaliser la poignée d’un sac, en bois flotté et en métal. » Elle démarre « avec le minimum : un établi, un moteur, une pièce à main et un chalumeau » et le matériel s’étendra au fil des défilés. « Une fois, j’ai même dû acheter une grosse scie pour découper une bande de métal pour une pièce de défilé, je l’ai toujours ! » En janvier 2018, Bertrand Guyon est le directeur artistique de la maison, depuis 2015. Les saisons s'enchaînent, tout comme les collaborations. Lorsque Daniel Roseberry reprend les rênes de Schiaparelli en avril 2019, elle pressent « un nouveau style et beaucoup d’énergie. C’était très excitant ». A ce moment-là, la maison Schiaparelli ne défile que pendant la Semaine de la Haute Couture, revenue au Calendrier de la Paris Fashion Week, en prêt-à-porter, en mars 2023 pour la saison automne-hiver 2023/2024.

 

« Quand j’ai reçu le dessin de la robe-poumons, j’ai eu des papillons dans le ventre. »

 

De la viralité de certaines pièces de mode. Le 11 juillet 2021, Bella Hadid se pavane à Cannes et foule le tapis rouge pour la montée des marches du film "Tre Piani" réalisé par Nanni Moretti. Si l’adjectif « iconique » remporte la Palme de l’adjectif le plus galvaudé de ces dernières saisons, il reste parfaitement adapté pour décrire la robe que portait ce jour-là le mannequin-superstar : la robe-poumons. 

« Quand j’ai vu le croquis,  j’ai senti que ce serait un très beau projet », raconte-elle, pressentant un grand moment de mode. « Le croquis était parlant. C’est ce qui est magique avec un bon croquis. » C’était bien la première fois qu’elle se demandait comment réaliser des poumons et décide de se renseigner dans un premier temps. « J’ai vite compris que ça ressemblait à des racines inversées. J’ai été au parc à côté de chez moi et j’ai déraciné une plante pour observer. »  La première réalisation se fait en une semaine. « La partie centrale est en plaque de laiton, avec autour des fils de laiton. Si on retourne le centre, il est creux. »

A Marine Billet, nous devons également le fameux bébé en résine dorée. Le moulage s’est fait « sur un nourrisson, en plastique évidemment, mais très réaliste » explique Marine qui se souvient du démoulage « comme d’une scène très drôle, autour du bébé relié à ce sein. »

Parmi les projets inédits qu’elle réalise pour la Maison, elle évoque également un masque pour la rappeuse Cardi B. « Le moulage a été fait aux Etats-Unis par un maquilleur. J’ai reçu par la poste son visage en silicone. » raconte-t-elle avec un grand sourire et en mimant son étonnement à l’ouverture du colis. 

 

À « petite main », elle répond « belle main »

 

« On m’a déjà dit ‘tu n’es qu’une fabricante’ » confie-t-elle, évoquant la méconnaissance et le mépris que les métiers intellectuels peuvent exercer sur les manuels. « Une petite main ? Mes mains sont tout sauf petites, je gagne tous mes combats de pouces. » réplique-t-elle sans sourciller, sourire en coin, en observant ses mains baguées dont son index articulé en argent confectionné par et pour elle. « Même si on reçoit un très beau croquis, il faut le développer et c’est un travail conceptuel. Derrière une petite main, il y a toujours un cerveau. Il y a toujours de l’âme qui relie le cerveau à la main. » 

L’artisanat, les métiers d’art, le travail de la main, sont en cours de revalorisation. « C’est en train de changer. Les artisanats sont valorisés et sont associés au luxe, à l’excellence. Les écoles se remplissent. » explique-t-elle. La mise en lumière des métiers de la main et de l'artisanat offre un terrain propice à l'épanouissement des esprits créatifs les plus réticents à oser exprimer leur passion première. « Si on fait les choses dans l’excellence et avec passion, on peut tout réussir », affirme Marine Billet, dont le début de carrière en est l’exemple idoine. 

 

« J’ai attendu, ça a pris du temps et les choses se sont posées d’elles-mêmes. »

 

Fin 2023, Marine Billet décroche deux prix à deux semaines d’intervalle. Le Prix des Artisanes, - décerné par ELLE Magazine avec le soutien de LVMH, en partenariat avec Artisans d'Avenir et l'Institut pour les Savoir-Faire Français (ancien INMA) – inaugurait l’an dernier une section « Joaillerie-Horlogerie ». Elle envoie son dossier et présente ses pièces devant un jury, aussitôt conquis. Une consécration pour la créative reconvertie six ans auparavant. Dans la foulée, elle reçoit un second prix à Milan, « Best in Creativity », créé, et remis, par Laura Inghirami lors de la Milano Jewelry Week. « Tout s’est accéléré d’un coup. Il faut prendre son temps et ça finit par arriver. » S’il s’agit d’une reconnaissance professionnelle forte, elle la raconte calmement, humblement. C’est lorsqu’elle parle du métal qu’elle courbe ou des formes qu’elle sculpte que ses pupilles s’animent, la passion qui s’exprime. 

 

« Travailler pour les autres, techniquement, ça me permet de me dépasser. »

 

En octobre 2023, elle fonde Incarnem, sa propre marque, son exutoire créatif. Ses souhaits d’indépendance, de la conception à la réalisation, deviennent réalité. « Plus j’avance, plus je fais tout toute seule. Je fais même mes dorures seules, avec des bains d’or chez moi » raconte-t-elle. « Tous les matins, je suis heureuse d’aller dans mon atelier. »

Monter sa marque, c’est aussi affirmer sa propre patte. « Je veux faire des accessoires, pas dans le sens médiocre du terme, mais pour qu’ils deviennent une seconde peau. » Elle réalisait depuis des années des pièces de son côté, par expérimentation, car les idées fourmillent. « Mes pièces sont en argent ou en or et sont normalement poinçonnées, ce que je ne faisais pas au départ. Je ne signais pas mes pièces, c’est une erreur. » explique-t-elle en insistant sur le fait de ne proposer « que du sur-mesure, des pièces qui s’adaptent à la morphologie, comme un gant. Le commercial ne m’intéresse pas. » Incarnem fêtera par ailleurs son anniversaire du 3 au 16 octobre 2024 dans les jardins du Palais Royal, dans la galerie 3m2 : « ce sera un mélange de collections et de moulages de corps, avec une scénographie particulière. », annonce-t-elle. Ce sera aussi l’occasion de regarder par-dessus son épaule, de contempler le chemin parcouru. « J’étais tellement à fond, je n’ai pas compté mes heures. »

© Charlotte Debauge

Récemment, Marine était invitée à présenter son travail dans son lycée, à Fécamp, « une petite ville où par rapport à Paris, il y a peu de choix et de possibilités pour les métiers manuels. » Elle y présente son parcours, ses doutes et ses accomplissements. « J’étais étonnée car j’ai entendu beaucoup de questions sur mon salaire, si je pouvais en vivre. Je gagnais mieux ma vie en tant qu’architecte mais je me sens beaucoup mieux maintenant. » L’épanouissement financier ne peut en aucun cas supplanter l’épanouissement personnel. « Un garçon voulait être ébéniste. Enfin, il hésitait aussi avec la fac de droit... Si on peut aider au moins une ou deux personnes à trouver leur voie, c’est déjà bien ! » résume-t-elle avec optimisme. 

Marine Billet est une artisane-maquettiste-prototypiste-bijoutière-artiste (entourez le mot qui vous convient) et ses créations sont systématiquement le fruit d’une réflexion, d’un engagement. Ce sont des pièces fortes, qui se remarquent et que l’on n’oublie pas. Même lorsqu’elle crée pour d’autres, elle s’y plonge sans fard. « Quand je remets des pièces que j’ai faites, même si ce ne sont pas mes dessins, il y a toujours un bout de mon âme qui s’en va avec elles. »