Le regard de Rabih Kayrouz
Voir FLOU
Une longue fille aux yeux bleu agate pousse la porte de l’hôtel particulier où Rabih Kayrouz présente sa collection de haute couture. On dirait que les habitants ont fui, entre les murs blancs, les silhouettes évoquent des percussions chromatiques. « Des couleurs acides, comme des brins de lumière pour réveiller les sens. Je regarde les tissus avant de les toucher. Mes yeux sont tout le temps ouverts ». Rabih Kayrouz regarde son téléphone pour m’envoyer via WhatsApp, le poème qu’il a rédigé en guise de programme.
« Je te vois enfilant un manteau
Je te vois protégée
Je te vois te serrer la taille dans le drapé d’une veste
Je te vois marcher danser rire
Je te vois enlacée aimée par les robes
Je te vois libre
Je te vois marcher dans une ville
Je te vois danser dans une bulle
Je te vois vivre
Je t’aime »
Une coulée d’or fin, un tailleur à la veste drapée façon coup de vent. L’œil est là qui tend les lignes, les fait bouger, surprend l’enveloppement, fixe l’arrondi d’un geste : « la maîtrise, c’est d’arriver à garder le geste. La haute couture n’est pas liée à des occasions. C’est une technique. C’est la manière dont on réalise un pantalon, un tee shirt. Il ne s’agit pas d’éblouir, mais de sentir qu’à l’intérieur il y a un regard attentif à la construction. »
De son atelier parisien du boulevard Raspail et qui compte une vingtaine de personnes, il parle de « leurs yeux dans les mains. »
« Il n’y a pas de règle. La haute couture, c’est travailler « au chic ». Les accidents sont permis, c’est ce qui donne la vie. Si on maîtrise trop, si on lisse trop, la vie s’éteint. » Voir Flou, donc. Un art qui rend la haute couture selon Rabih Kayrouz, si virtuose, même lorsqu’une robe, telle une colonne de mousseline, semble juste avoir été effleurée.