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Ines de la Fressange : « J’ai appris mon métier de styliste avec le meilleur des professeurs : Karl. »

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Surnommée « le mannequin qui parle » dès son début de carrière, Ines de la Fressange a bousculé puis incarné le chic parisien. Premier mannequin à signer un contrat d’exclusivité avec une Maison, elle revient sur son parcours, l’évolution du mythe de la Parisienne, et son engagement à soutenir les grands noms de demain.

Votre carrière de mannequin a débuté à l'âge de 17 ans, avec un succès fulgurant. Vous défilez dès vos débuts pour les noms les plus prestigieux de la mode française : comment décririez-vous l'effervescence créative de cette époque ? 

Le succès n’a pas été aussi « fulgurant » ! Mais justement, j’ai eu la chance de plaire aux jeunes créateurs, Kenzo, Mugler, Castelbajac, Gaultier, Chantal Thomass…qui avaient tous une forte identité et présentaient leurs collections d’une manière très innovante en cassant tous les codes du défilé de mode traditionnel et en faisant de véritables shows. Les Maisons de Couture à ce moment paraissaient désuètes et le prêt-à-porter gagnait ses lettres de noblesse dans la joie, la créativité et une certaine insouciance.

 

En 1983, vous avez été choisie par Karl Lagerfeld comme égérie de la Maison Chanel, devenant ainsi la première mannequin à signer un contrat d'exclusivité avec une Maison. Comment cette collaboration a-t-elle commencé et comment s’est déroulée votre première rencontre avec Karl ? Quels souvenirs avez-vous de votre rôle dans cette aventure créative ? Comment sa vision et sa personnalité ont-elles façonné votre propre approche de la mode ?

Je travaillais avec Karl depuis quelques années et chez Chanel avant même qu’il n’arrive, autant avec Philippe Guibourgé (injustement oublié) qu’avec M.Jean et Mme.Yvonne à la couture. Ensuite, à la demande de Karl, j’ai signé ce contrat d’exclusivité totale ce qui à l’époque semblait étonnement une idée très farfelue pour beaucoup de monde qui voulait m’en dissuader ! Au départ, il ne s’agissait que d’être mannequin et ambassadrice, la réalité est que j’ai appris là mon métier de styliste avec le meilleur des profs : Karl dans la plus jolie école : la rue Cambon !

 

Plus récemment, vous signiez la préface du livre autobiographique de Colette Maciet. Quels souvenirs avez-vous des ateliers, de vos liens avec les différents personnages de l’atelier ? 

Colette a commencé à travailler chez Chanel à l’âge de 14 ans, elle avait donc connu « Mademoiselle », comme souvent, dans les ateliers, c’était une femme passionnée, consciencieuse avec un savoir unique. Karl était toujours très conscient de l’importance du talent des premières d’atelier et avait un grand respect pour elles.

 

Vous avez modernisé le mythe de la Parisienne, désormais indissociable de votre image et de votre nom. Votre ouvrage, réédité en 2019, propose des astuces et conseils pour se l'approprier. Quels nouveaux éléments ajouteriez-vous en 2024 ?

Auparavant, « la Parisienne » semblait en effet un mythe principalement pour d’autres pays que la France, aujourd’hui, on accepte plus que ce soit un véritable état d’esprit qui est un style. Par exemple, mélanger l’ancien et le nouveau, le sophistiqué et le sportswear ce qui finalement est devenu assez cosmopolite. Ce que je pourrais rajouter serait dans le fond, que même si toutes les marques les plus luxueuses et prestigieuses du monde sont parisiennes , la Parisienne, elle, semble continuer à découvrir de nouvelles petites marques et ne cherche pas forcément la garantie des célèbres logos.

 

Votre propre marque, « Ines de la Fressange », est rapidement devenue un symbole de l'élégance française, tant en France qu'à l'international. Comment veillez-vous à ce que votre marque incarne cette élégance intemporelle ? 

« Élégance » semble un mot un peu suranné, mais je l’aime quand même ! (rires) J’essaie de faire des vêtements adaptés à toutes sortes de situations pour les femmes, le bouche à oreille fonctionne, les clientes sont fidèles et beaucoup découvrent la marque grâce aux grands magasins comme le Bon Marché ou les Galeries Lafayette. Je dois dire que je suis fière que la maison se développe en ayant de nombreux points de vente, le secret, je pense est d’avoir les pieds sur terre…mais avec de jolis souliers ! (rires).

 

Vous avez signé de nombreuses collaborations au fil de votre carrière. Attardons-nous sur votre travail avec la Maison Roger Vivier : pouvez-vous nous nous dire en quoi cette collaboration a-t-elle enrichi votre vision du luxe et de la création ?

Il y a vingt ans, on me demandait « qui est Roger Vivier ? » aujourd’hui, la marque comme l’homme sont internationalement connus ce qui me réjouit. Aux côtés de Diego della Valle,  j’ai beaucoup appris notamment sur le positionnement d’une marque, les boutiques, la stratégie d’une entreprise. Son panache et ses ambitions sont tout à fait particuliers et beaucoup d’hommes d’affaires français devraient prendre exemple !

 

En juillet 2023, vous avez fait votre retour sur le podium en clôturant le défilé de Charles de Vilmorin lors de la Semaine de la Haute Couture. Vous avez soutenu de nombreux jeunes créateurs tout au long de votre carrière. Quels critères observez-vous lorsque vous décidez de soutenir un jeune talent, et comment voyez-vous l'importance de leur rôle dans l'évolution de la mode ? Suivez-vous toujours assidûment les évolutions du secteur ?

À la demande de Charles, mon ego a surtout été très flatté ! (rires) J'ai ensuite fait ce défilé avec beaucoup de désinvolture dans une ambiance gaie et chaleureuse. Quelqu’un comme lui n’a plus besoin de soutien, son talent est reconnu. En revanche, oui, effectivement, j’aime mettre la lumière sur des noms inconnus en les citant par exemple dans ma newsletter hebdomadaire (www.lalettredines.fr) car parfois, les magazines de mode oublient ce rôle, forcés de citer plutôt leurs annonceurs…c’est bien dommage, car ces mêmes annonceurs auront besoin à un moment ou un autre de nouveaux talents ! (rires)

En tout cas, il est important de rester toujours informé, pour ne pas devenir une vieille dame aigrie.

 

Comment votre propre style a-t-il évolué au fil des années, et quels sont les changements les plus significatifs que vous avez observés ?

Quand il y a quelques décennies, Saint Laurent parlait de simplicité, cela me rasait, mais aujourd’hui je comprends mieux : j’élague ! Moins tarabiscoté, moins de maquillage, moins de coiffure, plus de lâcher prise et surtout ne pas essayer d’être comme avant, mais aller de l’avant !