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Georg Lux (Leonard Paris) : « La beauté est l’une des manifestations les plus réconfortantes de notre humanité. »

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Directeur artistique de Leonard Paris depuis janvier 2021, Georg Lux réinvente l’héritage de cette Maison historique, véritable coffre aux trésors, avec un optimisme débordant. Ce savoir-faire exceptionnel, réalisé dans la plus grande tradition, est ici pimenté d’innovation, de nouvelles textures, couleurs, et imprimés qui dessinent une élégance contemporaine, loin des tendances éphémères, propulsée dans l’avenir du luxe.

©Alexis Jacquin

A deux pas de l’Arc de Triomphe, le studio de création de la Maison Leonard Paris, orchestré par Georg Lux, peaufine avec soin sa dernière collection Automne-Hiver. Intitulée City Nomade, elle présente « un dégradé de textures et de couleurs, d’ambiances, jusqu’à l’espoir. On aperçoit presque le printemps arriver. » Lorsque Georg Lux parle de mode, ses yeux s’animent. « J’avais envie de parler d’une femme qui voyage de ville en ville, qui traverse des déserts, des endroits surréalistes, à la recherche de la beauté. », explique-t-il en parcourant les pièces du regard. « Quand on voit tout ce qui se passe dans le monde, j’ai voulu rappeler que la beauté peut naitre au beau milieu de la plus grande laideur que peut parfois engendrer l’humanité. La beauté est l’une des manifestations les plus réconfortantes de notre humanité ».

Parcourir une collection Leonard Paris revient à se promener dans un jardin : « l’art de la fleur » étant une signature de la Maison. « Chaque saison, il y a une fleur fétiche et cette fois-ci, nous avons choisi la rose. Elle est mythique et mystérieuse. C’est la féminité, l’amour, le désir. » Enthousiaste, Georg Lux présente une veste grenat en drap de laine, où s’étend une grande rose décomposée en cristaux Swarovski ; puis un manteau en laine biface. « Là, on ne voit presque plus que c’est une fleur, ce sont devenue des lignes pointillistes, abstraites. » Et le voyage continue, dans les cieux, sur un haut noir maculé de points orange, jaunes, « comme depuis un avion où l’on voit les villes s’éloigner, les lumières qui défilent ». Des pierres semi-précieuses ornent les boutons de cette collection, des lapis-lazuli, des œils-de-tigre, des malachites.  

Tous les prototypes sont fabriqués en France et la production se fait en Italie. « On travaille avec plusieurs fabricants italiens qui sont toujours en quête de nouveautés », explique-t-il en attrapant délicatement une robe en faux cuir spécialement développé cette saison pour la Maison, comme un vinyle, avec une fleur embossée. « Je trouve que ces pièces noires, unies, rendent les imprimés encore plus graphiques. C’est la lumière qui révèle la fleur. » À l’intérieur des manches, un tissu orange imprimé Leonard, seule la cliente le sait, comble du chic. Sur un manteau doublé, grège et kaki, le motif floral prend la forme « d’une poudre compacte imprimée, qui donne cet effet peinture sur le tissu. »

« La Maison Leonard a été créé en 1958 et n’a jamais cessé de défiler, saison après saison. On peut lire les époques en parcourant ses archives. »

Officiellement nommé directeur artistique de la Maison en janvier 2021, Georg Lux y a découvert un héritage exceptionnel. « C’était merveilleux de pouvoir parcourir toutes ces archives accumulées, les imprimés, les anciens lookbooks, les pièces conservées. Il me fallait digérer tout cela pour en dégager l’essence et l’actualiser. » Une créativité méticuleusement articulée, méthodique, comme s’il canalisait sans cesse son élan créatif. « Pour chaque collection, je pars toujours d’un dessin d’archive. Cette saison, j’ai choisi un imprimé guépard. » En parcourant les centaines de campagnes de la Maison, Georg Lux tombe sur une photo de Veruschka dans un Vogue des années 1960. « J’ai tout de suite eu envie de ressortir cet imprimé lorsque j’ai vu cette image. J’adore Veruschka, elle est toujours présente dans mes moodboards et incarne parfaitement l’esprit Leonard ». Mannequin, actrice, Veruschka a révolutionné les images de mode des années 60 et 70, par son audace et sa présence captivante, et reste la muse de créateurs contemporains dont Georg Lux. Ses inspirations sont multiples, au-delà de la mode. « Je m’inspire aussi beaucoup du cinéma. J’ai revu « Metropolis », avec Brigitte Helm qui interprète le rôle de Maria et de son double Futura. Pour moi, ce film symbolise l’extrême beauté qui nait de l’atrocité. Je pense aussi à « The Mood for Love », à cette ambiance de grande ville anonyme dans la nuit, aux lumières chaudes, sensuelles, ambrées, que l’on retrouve dans cette nouvelle collection.»

« Paris a toujours été le centre de la mode qui crée les tendances, les rend désirables et les fait exploser dans le monde entier. Je devais vivre à Paris, y travailler. »

« Depuis petit, j’ai toujours su que je voulais être un créateur de mode. » Né à Berlin, Georg Lux grandit dans une capitale tout juste réunifiée, qui connait une ébullition culturelle et artistique, une période expérimentale sans précédent. « Il y avait une énergie folle. Berlin était au summum de l’underground, du grunge. Mais pour la mode, Paris en était le centre. Il fallait être à Paris. » Très vite, le jeune Georg découvre la mode en parcourant les archives des grands maîtres de l’après-guerre. « J’ai toujours adoré Jacques Fath, contemporain de Christian Dior, Pierre Balmain et Cristóbal Balenciaga », raconte-t-il en souriant. On y décèle l'écho de l'enthousiasme qu'il a dû éprouver en posant son regard sur ces créations pour la première fois. « Fath était un créateur extrêmement joyeux et toujours contemporain. Il incarnait la jeunesse, la fraicheur, le glamour, le sexy et était très en avance sur son temps ». Les créateurs de mode de cette époque et les images de mode nourrissent son goût et ses références. « J’ai toujours aimé les images d’Irving Penn, de Richard Avedon avec Suzy Parker qui traversait Paris dans la nuit. Ça m’a toujours fait rêver… »

Georg Lux file droit vers sa passion et rejoint les bancs de l’école d’arts appliqués Lette-Verein de Berlin et s’envole ensuite pour Paris pour parfaire son parcours à l’École de la Chambre Syndicale de la Couture Parisienne, fusionnée avec l’Institut Français de la Mode en 2019. Il pose ses bagages « dans un tout petit appartement boulevard Saint-Germain, à deux pas du Café de Flore », au cœur du mythique Paris Rive Gauche. Historiquement, ce quartier a nourri l'épanouissement de figures emblématiques telles que Simone de Beauvoir, Ernest Hemingway, Pablo Picasso, Jean Cocteau, Georges Braque… Des figures majeures qui ont contribué à forger l’héritage multiculturel, créatif et de pensée de ce quartier qui traverse les générations. « J’ai adoré regarder les gens dans la rue, les looks des femmes, leur style de vie. Ça m’a tout de suite plu et je me suis senti bien, à ma place. »

« On peut être élégant de plusieurs façons différentes. Je ne crée pas une femme qui suit les tendances, mais qui a son propre style, sa propre personnalité. »

La question subsiste à chaque époque, pour chaque créateur, qu’est-ce que l’élégance aujourd’hui, au moment où nous créons ? « Aujourd’hui, les tendances changent extrêmement rapidement et peuvent venir de tout et n’importe quoi. L’avantage d’être une Maison de luxe, c’est justement de ne pas suivre ces tendances, mais de les créer, tout en faisant vivre son propre style. » Cela implique nécessairement une grande attention portée « à l’innovation des savoir-faire et des techniques, au fait de produire parfois en plus petite quantité avec la plus grande des qualités, et que tout ne vienne pas de l’autre bout du monde. » 

Pour Georg Lux, le luxe est l’art de pouvoir prendre son temps, de profiter, dans le plus grand confort, de chaque instant. « C’est ce mouvement ralenti de l’extrême luxe qu’on a envie de s’approprier, en toute intimité. »

 

Reuben Attia.