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Frida Kahlo, Au-delà des apparences

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« Frida Kahlo, Au-delà des apparences » investit la quasi-totalité du Palais Galliera à Paris. Cette vaste exposition retrace l’histoire de l’artiste mexicaine visionnaire sous de multiples angles éclairants et intimes. Au-delà de son œuvre, les 200 objets exposés – dont sa garde-robe éclatante, ses chaussures et bijoux remarquables, des objets divers comme du maquillage ancien, des appareils orthopédiques et des correspondances – révèlent comment elle a construit et maintenu une image inextricablement liée à son art, à son engagement politique et à son handicap. Cette collection était secrètement conservée par son mari, l’artiste Diego Rivera, dans leur maison de Casa Azul, avant d’être découverte 50 ans après sa mort en 2004. L’exposition présente également une sélection captivante de photos – familiales et professionnelles – prises au cours de sa vie, qui illustrent la manière dont elle a utilisé le portrait pour refléter et détourner la réalité. Par ailleurs, le Palais Galliera a consacré sa galerie supérieure à la mode contemporaine et aux créateurs – Karl Lagerfeld pour Chanel, Riccardo Tisci, Jean Paul Gaultier, Alexander McQueen et Yohji Yamamoto, entre autres – qui ont puisé leur inspiration dans son style inimitable. “Kahlo était énigmatique, mystérieuse et belle”, déclare Circé Henestrosa, commissaire et conceptrice de l’exposition, et directrice de l’école de mode du Lasalle College of the Arts de Singapour. Elle nous livre ici ses impressions – et une anecdote personnelle – sur une présentation éblouissante de ce que représente l’artiste au-delà de son art.

Frida Kahlo avait une approche subversive de son art – que ce soit intentionnel ou non. Comment pensez-vous que cela se reflète dans son style ?

Je pense que toute son œuvre était intentionnelle. Elle a réussi à briser de nombreux tabous liés aux femmes, notamment aux défis qu’entrainent la lutte contre la maladie et les troubles physiques, en les dévoilant avec créativité, à travers son art et ses vêtements. Cette résilience, son attitude combative et sa détermination à profiter de la vie malgré les difficultés font d’elle un symbole puissant pour de nombreuses communautés. Son image iconique signifie désormais la force et la possibilité de changement.

Grâce à son père, Frida Kahlo a développé une certaine aisance devant la caméra, qu’elle a conservée toute sa vie malgré son handicap. Cherchait-elle à se montrer sous un jour différent à travers ces images ?

Gannit Ankori, notre commissaire consultante, nous l’a fait remarquer. Elle a souligné la relation étroite entre Kahlo et son père et nous avons observé comment Kahlo a pris conscience de son corps et de ses poses. Dès qu’elle a pu se tenir assise, son père a cultivé son envie de s’exprimer devant un objectif. Tout au long de sa vie, son allure hypnotique et photogénique a marqué de nombreux photographes d’exception. Sa façon de poser a également eu une forte incidence sur sa peinture. Son regard intense et sa tête légèrement inclinée figurent aussi bien dans les photographies que dans les peintures. 

Sur ses photos de voyage, elle porte toujours ses vêtements traditionnels, même dans des tenues plus “européennes”. En quoi était-ce important pour elle ?

Je pense qu’elle percevait les vêtements comme un moyen puissant de communiquer ses convictions politiques, son identité de genre et sa mexicanité. Son père était allemand et sa mère mexicaine et cela se reflète dans sa garde-robe, principalement composée de pièces traditionnelles mexicaines, d’Oaxaca et d’ailleurs. Parmi tous ses vêtements, c’est la robe Tehuana que Kahlo a choisie comme pièce maîtresse. Dans sa garde-robe, on retrouve seize blouses Tehuana et vingt-cinq jupes Tehuana originales, dont certaines ont été cousues et personnalisées par Frida. Elle a créé un style hybride.

Frida Khalo a été prise en photo par des femmes avant de poser devant l’objectif de Nickolas Muray. Détectez-vous des différences entre le regard féminin et le regard masculin ?

Frida Kahlo a été photographiée dans sa maison, la Casa Azul, où elle passait de plus en plus de temps en raison de son état de santé. Lola Álvarez Bravo et Gisèle Freund ont réalisé certains de ses portraits les plus intimes, qui sont présentés dans l’exposition. 

En 1931, Frida Kahlo rencontre au Mexique le photographe américain d’origine hongroise Nickolas Muray, pionnier de la photographie en couleur aux États-Unis dans les années 1930. Muray s’est familiarisé en Europe avec les procédés de coloration et les techniques d’impression. Pendant une décennie, Muray et Kahlo ont collaboré pour réaliser des images merveilleusement vivantes, où le modèle et le photographe jouaient un rôle égal dans la composition et le cadrage.

Les portraits de Kahlo qui en résultent sont parmi les plus spectaculaires et les plus mémorables jamais réalisés. Sur beaucoup d’entre eux, elle porte son rebozo magenta préféré, mentionné dans sa lettre à Muray du 13 juin 1939. Ces images révèlent la façon dont Frida composait ses tenues et le soin qu’elle apportait à sa palette de couleurs, en assortissant son rebozo aux fleurs dans ses cheveux à son rouge à lèvres et son vernis à ongles. Muray, quant à lui, a pu s’appuyer sur son expérience de photographe de mode pour des magazines tels que Harper’s Bazaar, Vogue, TIME et Vanity Fair. Selon lui, “la couleur appelle une nouvelle façon de regarder les gens, les choses”.

Quels aspects de son style et de ses choix vestimentaires vous paraissent les plus emblématiques ?

Mes pièces préférées sont bien sûr les robes Tehuana, pour lesquelles j’ai une grande affection personnelle. J’ai grandi en entendant des histoires sur Frida Kahlo et Diego Rivera. La famille de mon père était originaire de Tehuantepec, dans le sud-est du Mexique, et mon grand-oncle Andres et ma grand-tante Alfa fréquentaient les mêmes cercles que le célèbre couple d’intellectuels dans les années 30 et 40. Alfa, ma grand-tante, a offert à Kahlo ses premières robes Tehuana – les robes brodées à jupe large portées par les femmes indigènes de Tehuantepec – que Kahlo a ensuite adoptées comme marque de fabrique.

J’ai donc voulu savoir pourquoi Kahlo avait adopté cet uniforme, et je m’intéressais à l’aspect ethnique et au handicap de la garde-robe, ainsi qu’à leur point de rencontre. En ce qui concerne l’aspect handicap de la garde-robe, je pense que sa prothèse de jambe est incroyablement moderne et belle.

Sa prothèse de jambe est l’un des objets les plus complexes de sa collection. Frida Kahlo a été amputée d’une jambe en 1953. Pour cacher sa jambe, elle a fait fabriquer des bottes en cuir rouge luxueux, décorées de nœuds et de pièces de soie brodées de motifs de dragons chinois et de petites clochettes. Elle a fait de sa prothèse un objet d’avant-garde, un accessoire qu’elle a adopté comme une extension de son corps. Elle a fait cela 45 ans avant qu’Alexander McQueen ne fasse défiler la double amputée paralympique Aimee Mullins dans une paire de jambes prothétiques en bois sculpté qu’il avait fabriquée pour elle dans sa collection Printemps-Été 1999.

Pouvez-vous nous parler de son envie de modifier certains de ses corsets orthopédiques ? S’agissait-il d’une forme d’expression personnelle ? De résistance ? De l’exploration d’un nouveau moyen d’expression ?

Frida Kahlo a décoré et transformé ses corsets médicaux en objets d’art. Son corps dépendait d’une attention médicale mais loin de laisser le corset la définir comme invalide, Kahlo a orné ses corsets, les faisant apparaître comme un choix explicite.  Elle les a inclus dans la construction de ses tenues comme une pièce essentielle, comme sa seconde peau. Kahlo a également composé ses peintures en intégrant ses corsets, ses costumes et ses photographies dans ses compositions.

Dans les galeries contemporaines, nous voyons différentes interprétations du style de Kahlo et de ses vêtements – dans de nombreux cas, les références sont facilement identifiables. Peut-on dire que son style est l’un des plus reconnaissables parmi les artistes féminines du XXe siècle ?

Oui, sans aucun doute ! Frida Kahlo a construit ses tableaux en intégrant ses corsets, ses costumes et ses photographies dans les compositions. Son art et ses vêtements sont intimement liés l’un à l’autre et son approche reste sans équivalent.

L’exposition « Frida Kahlo, Au-delà des apparences » se poursuit jusqu’au 5 mars au Palais Galliera à Paris.