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5 QUESTIONS À AMÉLIE GASTAUT

Interviews, Inspirations, Insights

Commissaire de l’exposition « La naissance des grands magasins », Musée des arts décoratifs. Jusqu’au 13 octobre 2024.

« Les grands magasins ont inventé le commerce moderne et mis en place la culture de la consommation qui fera entrer la France dans un nouvel ordre économique et social »

 

Qu’avez-vous cherché à raconter à travers ce projet ?

 

Le projet de cette exposition n’était pas de revenir sur les histoires individuelles des grands magasins, mais davantage de comprendre comment le contexte historique, politique, économique et social du Second Empire, ainsi que les réformes structurelles mises en place par Napoléon III ont été favorables, sinon nécessaires, à l’émergence de ce nouveau type de commerce. Et à partir de là de comprendre comment les grands magasins ont inventé le commerce moderne et mis en place la culture de la consommation qui fera entrer la France dans un nouvel ordre économique et social. La première partie de l’exposition est donc une partie de recontextualisation historique qui revient sur les grandes réformes structurelles voulues par Napoléon III (urbanisme moderne d’Haussmann, développement du chemin de fer, essor de l’industrie, mise en place d’un système bancaire moderne) qui ont eu des répercussions directes sur la naissance et le développement des grands magasins. De revenir également sur l’émergence de cette nouvelle élite sociale qu’est la bourgeoisie, moteur de la croissance économique, qui partageait avec l’Empereur les bienfaits du libéralisme naissant. Classe sociale à laquelle les patrons des grands magasins appartenaient mais qui était aussi la première cible de ces derniers. La deuxième partie de l’exposition s’intéresse aux révolutions commerciales (démocratisation de la mode, invention des soldes, l’enfant comme nouvelle cible, vente par correspondance) mises en place par ces entrepreneurs visionnaires qui ont jeté les bases du commerce moderne en utilisant des techniques de vente et des techniques publicitaires innovantes. 

 

Qu’avez-vous découvert en travaillant sur cette exposition ?

 

Que les grands magasins ne sont plus envisagés comme de simples lieux de commerce mais comme des lieux de loisirs où l’on peut venir passer la journée, flâner dans les rayons, se donner rendez-vous dans les salons de thé, lire le journal, attraction pour les enfants des concerts, des défilés etc.. La cliente n’est plus considérée comme une simple acheteuse mais comme une visiteuse, aussi l’entrée y est libre sans obligation d’achat, ce qui est une nouveauté. Une des grandes idées des grands magasins est que l’acte d’achat ne doit pas être suscité par la nécessité mais par le désir. Ce désir de possession va tellement bien fonctionner qu’apparaît un phénomène quasi social : la kleptomanie. A compter des années 1870, les statistiques de la préfecture de police enregistrent une augmentation des vols à l’étalage dont la majorité à pour théâtre les grands magasins. En 1885, c’est la 5ème cause des arrestations à Paris.

Comme le prouve les procès-verbaux conservés dans le dossier « voleuse des grands magasins » conservés dans les archives de la préfecture de police, les voleuses ne sont pas des nécessiteuses mais des bourgeoises. Ce désir de possession est entre autres provoqué par la mise en spectacle de la marchandise et par la possibilité nouvelle de pouvoir toucher les articles. 

Plusieurs médecins psychiatres vont s’intéresser à ce phénomène devenu social, l’un d’eux, le docteur Alexandre Lacassagne soutient que « ce sont des excitants d’ordre social qui pourraient être appelés des apéritifs du crime »

La deuxième chose que j’ai apprise est qu’en révolutionnant le commerce de détail, les grands magasins préfiguraient déjà les techniques modernes du marketing : fast fashion, écoulement rapide des stocks avec l’invention des soldes et la mise en place d’un calendrier annuel commercial, l’enfant comme nouvelle cible et enfin la vente par correspondance.

 

En quoi préfigurent ils et marquent-ils la Parisienne ?

 

Avec le comptoir de robes confectionnées produites en série et qui proposent une variété de tailles, les grands magasins ont initié les prémices de ce qui sera le prêt-à-porter concourant ainsi à une progressive démocratisation de la mode. Les grands magasins vont dès lors exercer un rôle fondamental de diffuseur de la mode tout en l’influençant.  De ce fait ils ont contribué à la construction de la figure de la parisienne, incarnation de la femme élégante, indépendante, ambassadrice de la mode. Les affiches illustrées, qui connaissent son âge d’or dans les années 1870, contribuent elles aussi à la construction de l’image de la Parisienne qui devient alors l’objet de projection des fantasmes. 

 

Outre la mode, le design, les affiches, les jouets, une partie est consacrée aux ateliers d’art. Que vous inspire cette activité ?

 

Les ateliers d’art de grands magasins vont se montrer créatif et novateur dans la promotion des art décoratifs dit moderne. Dans le sillage des « ensembliers », ces artistes décorateurs qui concevaient des ensembles de mobilier, quatre grands magasins parisiens vont fonder des ateliers d’arts. Le Printemps fait figure de pionnier en 1912, lorsqu’il inaugure, à l’initiative de son directeur, Pierre Laguionie, et du fondateur du Salon des artistes décorateurs, René Guilleré, l’atelier de création Primavera.

Cette initiative fait des émules. En 1921, les Galeries Lafayette confient à Maurice Dufrène l’atelier de La Maîtrise. L’année suivante, le Bon Marché initie l’atelier Pomone, dirigé par Paul Follot. Enfin, Les Grands Magasins du Louvre créent, en 1923, le Studium, placé sous la responsabilité d’Étienne Kohlmann. Les ateliers d’art de grands magasins vont se montrer créatif et novateur dans la promotion des art décoratifs dit moderne. La création des ateliers d’art des grands magasins est motivée par une génération de créateurs soucieux de renouveler la place des arts décoratifs et de célébrer le goût du beau au quotidien à travers la production de meubles et d’objets d’art en série.