Les Parisiennes citoyennes
Au musée Carnavalet consacré à l’histoire de Paris, une nouvelle exposition explore la place des femmes parisiennes à travers le prisme historique du féminisme, qu’il s’agisse de figures solitaires, de grands mouvements ou de revendications, de la Révolution française à l’aube du XXIe siècle. La commissaire Christine Bard, professeur d’histoire contemporaine à l’Université d’Angers (UMR TEMOS), membre de l’Institut universitaire, présente cette exposition ambitieuse et revient sur le mythe de la Parisienne et la manière dont ses transformations vestimentaires ont contribué à renforcer le sentiment d’identité des femmes.
La Parisienne citoyenne mise en lumière par l’exposition est-elle une sorte d’antithèse de la « Parisienne » si souvent admirée ? Ou est-elle l’un de ses visages ?
La Parisienne, au singulier, est un mythe, dont on peut se demander s’il sert ou dessert les intérêts des Parisiennes dans la vraie vie. L’exposition passe au pluriel : les Parisiennes citoyennes ont mille et un visages. Ce sont des femmes en action, qui inventent, qui se battent, qui résistent, qui manifestent, qui veulent pouvoir étudier, voter, disposer de leur corps… Le mythe de la Parisienne s’est en partie inspiré de la réalité, de cette combativité.
En quoi l’engagement de la Parisienne est-il différent de celui de ses consœurs des autres grandes métropoles ?
Paris a une histoire spécifique. C’est pendant longtemps une ville populaire secouée par une succession de révolutions où les femmes sont très actives. La richesse de la vie culturelle, artistique, intellectuelle, l’ouverture assez précoce des universités aux femmes attirent des femmes du monde entier. George Sand est un modèle de liberté. C’est une ville où le taux d’activité féminine est très élevé, où la réduction volontaire des naissances est précoce, l’union libre y est fréquente, la prostitution importante. Paris est loin d’être une capitale mondiale du féminisme. Si le mot même y a été inventé, le mouvement associatif pour les droits des femmes y est moins fort qu’à Londres ou Berlin. Les Françaises obtiennent tardivement le droit de vote, en 1944.
Au XIXe siècle, les pantalons de George Sand défrayaient la chronique. L’écrivaine défiait les conventions pour exiger l’égalité entre les hommes et les femmes à travers sa tenue. Dans quelle mesure le vêtement peut-il devenir un étendard de revendications ? Y a-t-il d’autres exemples dans l’exposition ?
Pour George Sand, plusieurs raisons justifient le port du costume masculin pour les femmes : son côté pratique, le moindre coût également. Oui, il y a d’autres exemples, depuis le fantasme de la révolutionnaire en amazone jusqu’à la manifestante de Mai 68 en jean, en passant par la grande théoricienne de la virilisation des femmes, Madeleine Pelletier (1874-1939), ou les fausses garçonnes en pantalon fabriquées par les agences au début des années 1930.
Parmi ces icônes célébrées à l’occasion de l’exposition, y en a-t-il une qui, pour vous, illustre au mieux cet esprit rebelle ?
multitude, la diversité, les collectifs. Chacune, chacun pourra y trouver la rebelle ou les rebelles de son cœur, dans tous les domaines : arts, sciences, politique, luttes sociales, éducation, etc. Et aller au-delà des quelques figures – pas si nombreuses, hélas – déjà reconnues par la postérité et des femmages récents. L’esprit rebelle est présent dans les œuvres de plusieurs femmes artistes présentes dans l’exposition : Miss Tic, ORLAN, Niki de Saint-Phalle, Camille Claudel… sans oublier les femmes photographes comme Janine Niepce. Mais il est aussi présent dans des archives modestes, de petit format, en noir et blanc ou encore dans les objets comme les banderoles suffragistes plus que centenaires.
Cet entretien a été légèrement modifié pour plus de clarté.
Parisiennes citoyennes : Engagements pour l’émancipation des femmes (1789-2000) se déroule du 28 septembre au 29 janvier 2023 au musée Carnavalet à Paris.