Actualités

Sneaker glory

Focus
Crédit photo : Musée de l’Homme

Le commissaire Jean Leclercq nous parle de l’évolution et de l’impact des baskets dans la société, tels qu’ils sont explorés dans “Sneakers, les baskets entrent au musée”, une exposition qui se tient actuellement au Musée de l’Homme à Paris.

Les sneakers sont omniprésentes dans notre quotidien. Comment sont-elles passées des stades à la rue ; de la marginalité de la contre-culture à la culture populaire ?
La sneaker est passée du stade à la rue pour plusieurs raisons et suite à un enchaînement d’événement accélérateurs. Le premier élément fondamental est l’avènement du sport, de ses vertus pour le développement physique et de son facteur « Romantique et Lyrique » – des matchs épiques à l’aspect David contre Goliath, l’identifications à des nouveaux héros, la construction de légendes ou l’appartenance à des groupes sociaux partageant les valeurs de ces légendes,…

Par ailleurs, il y a eu plusieurs événements accélérateurs. Tout d’abord, le développement de la télévision et des retransmissions sportives dans les années 60 et 70 puis la naissance d’ESPN aux USA au début des années 80. Puis le développement du Disco, du funk puis du RAP. Les sneakers conviennent mieux aux codes « colorés et fantaisistes de ces mouvements et sont adaptées aux danses de rue ». Cela est amplifié par la naissance de la chaîne MTV au début 1980. 

La combinaison de ces deux phénomènes donne aux sneakers et au sportswear une exposition immense et inédite et permet la « création » de stars sportives planétaires dont les looks iconiques associés à leur légende sportive va faire le tour du monde. On peut citer Michael Jordan, Bjorn Borg, Carl Lewis ou Yannick Noah par exemple. 

Un facteur déterminant est l’avènement du Basketball et l’identification de la communauté noire américaine à de nouveaux héros. Michael Jordan va en devenir le symbole. Le fait que les chaussures de basket (et de tennis) se portent aussi facilement au stade que dans la rue fait que ces deux catégories sportives vont s’imposer leur silhouettes (Air Jordan, Stan Smith…) par rapport à l’athlétisme ou le football. On va assister à « l’admission » de la sneaker comme élément stylistique par la mode à partir de la seconde moitié des années 90 avec des créateurs comme Armani ou Jean-Charles de Castelbajac. Elle va s’imposer graduellement et progressivement dans le vestiaire féminin également. A partir de 2015, on peut dire que porter une sneaker n’est plus un « statement » pour une femme. Ceci va lancer l’ère des collaborations entre sport et marques et artistes pour créer une « hype » mutuellement bénéfique. La reprise du phénomène par les marques de luxe, commencé dans les années 2000 par Puma avec Jil Sander et Adidas avec Yohji Yamamoto, est complètement intégré aujourd’hui par Louis Vuitton, Chanel, Dior ou Balenciaga. 

Le confort est souvent invoqué pour expliquer le succès des sneakers. En quoi sont-elles plus adaptées à notre morphologie que les souliers classiques ? 
Le confort est une question de ressenti. Les sneakers ne sont pas nécessairement plus adaptées à notre morphologie, juste en moyenne moins contraignante – qu’une santiag, ou qu’un escarpin par exemple – et offre souvent un amorti bienvenu sur des surfaces dures comme le bitume des trottoirs ou des sols en béton qui équipent communément magasins ou bureaux. Elles sont, donc, plutôt plus adaptées que les souliers classiques, une paire de ballerines ou des derbies par exemple, à notre style de vie dans lequel le « voyage urbain » est une activité majeure de notre civilisation.

Dans quelle mesure peut-on dire que les sneakers sont l’expression d’un changement radical dans la société ? En quoi sont-elles « révolutionnaires » ?
La profusion de styles, de couleurs, de formes et de matières utilisées a révolutionné une industrie de la chaussure jusqu’alors plutôt linéaire. Cependant, à mon avis, les sneakers ne sont pas une révolution mais les témoins et les outils de révolutionnaires successifs dans le sport, la musique, la mode et la culture populaire. C’est pour cette raison que ce phénomène continue de gagner en importance.

Fin 2019, le créateur Virgil Abloh avait déclaré que le streetwear était amené à disparaître. Comment envisagez-vous l’avenir de la sneaker ?
La sneaker est appelée à muter, car tout ce qui n’évolue pas disparait. Néanmoins, la Jordan, si bien gérée par ses créateurs, ne devrait pas plus disparaitre que le Chanel N°5.

Cette interview a été légèrement modifiée pour des raisons de longueur et de clarté.