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LA MAIN PLEINE D’HEURES

Focus
credit: Kevin Germanier by Laurence Benaim

« La main pleine d’heures ». C’est le titre d’un poème de Paul Celan, poète et traducteur de langue allemande, né le 23 novembre 1920 à Tchernisti (Czernowitz), en Ukraine. Les créateurs sont allés chercher au fond de leur propre histoire ce qu’ils avaient envie de transmettre. Les aiguilles blessent. Les plus jeunes ont des petites plaies sur les mains, et leur cœur saigne. En cette saison hautement tactile, on ne touche plus le tissu avec les yeux. La lumière devient matière, la couleur génère une sensation de chaleur, de fusion, de réconfort. L’étoffe fait artisanalement corps avec la main. Renonçant aux heures frivoles de l’abondance consumériste, elle est plus lourde, plus texturée, plus travaillée, elle traverse le jour et la nuit, entre ombres et clignotements. Hier enfoui sous ses hoodies, le corps renait, se découvre, se découpe, se redessine. Comme pour retrouver sa souveraineté, son identité. Comme si le vêtement qui habille autant qu’il découvre, mettait en scène une autre force : celle de la rencontre possible, de l’étreinte, de ces accolades interdites, de tous ces frôlements possibles. Une fusion irréductible au genre, mais bien palpable dans ces collections de l’hiver 2022 -2023, où les tweeds mousseux, les crêpes lourds, les laines architecturés, témoignent d’une reconquête des sens sur le tout digital, et les boniments des prophètes des métaverses. On continue à se dire bonjour en se tendant nos moignons. On se rapproche pour défier nos peurs qui ne sont pas virtuelles.  A ne plus jurer de rien. A unir nos forces pour ne pas rester là, bras croisés. Dans le brouillard, la mode elle, avance, malgré tout.

Il y aurait sans doute un parallèle à faire entre la couverture cartonnée du dernier Houellebecq ( « Anéantir », Flammarion) et le smartphone cassé envoyé en guise d’invitation par Demna Gvesvalia (Balenciaga).  Le point de vue devient geste, l’agilité n’est plus la formule réservée des consultants marketing. La dextérité se remet à peser  de tout son poids sur la création, dans la mode, elle triture la mousseline, assemble des perles recycle artisanalement le déchet industriel ;  entre patchworks,  bords francs et  sequins assemblés tels des écailles, le sens le plus négligé de ces deux dernières années reprend la main. L.B