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Jad Hobeika : « J’ai compris le pouvoir du vêtement. »

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En 1995, le couturier Georges Hobeika ouvre les portes de son atelier au Liban, la même année où son fils Jad vient au monde. La Maison et l’enfant se développent côte à côte, nourris par le même amour du beau et de l’artisanat d’exception. Aujourd’hui co-directeur créatif de cette Maison indépendante, Jad perpétue le savoir-faire familial tout en insufflant son propre regard à cet héritage d’exception.

Le showroom parisien de la Maison est un écrin lumineux, épuré, où les pièces exposées attirent toute l’attention. Les broderies, signatures techniques de la Maison, adornent les pièces en tweed, en soie, en mousseline. Jad Hobeika, en jean large et blazer oversize, rayonne d’une modernité déroutante au beau milieu de ces pièces d’exception. Sous cette apparente décontraction et un sourire timide se cache un esprit constamment en éveil, mû par une quête de sens et de perfection. Diplômé de l’École de la Chambre Syndicale de la Couture Parisienne, qui a depuis fusionné avec l’Institut Français de la Mode, le jeune homme a rejoint la Maison Georges Hobeika en 2019, à 24 ans. Il est officiellement annoncé comme co-directeur créatif aux côtés de son père, Georges Hobeika, en juin 2022. 

Cette collection Couture Printemps-Été 2025 revêt une résonance particulière car elle incarne un hommage, intime. « Ma grand-mère, Marie Hobeika, nous a quittés il y a quelques mois », confie Jad. « C’était une personne très importante dans notre famille, c’est elle qui nous rassemblait, qui nous réunissait. C’est elle qui a appris à mon père à coudre ! » La notion de famille, de transmission, d’être ensemble est ici fondamentale. « La collection parle de la mort dans le sens du renouvellement, comme une porte vers autre chose. Du sommeil profond à la lumière, des créatures merveilleuses s’élèvent vers des hauteurs célestes. C’est un chemin. » Jad Hobeika nous présente la force et la dignité de celle qui les a inspirés, qui a insufflé l’énergie de la Maison. Le mot « Maison » chez les Hobeika prend tout son sens. C’est le lieu qui rassemble, qui protège, là où les plus proches grandissent et évoluent les uns auprès des autres. « Parfois les gens qu’on a perdus ont eu une place tellement importante qu’ils sont toujours présents avec nous ». 

« Enfant, je dessinais tout le temps. Et je n’ai jamais arrêté. » 

Jad fait ses premiers pas entre les croquis de son père, les étoffes, les couleur. « Mon père me montrait toujours ses dessins et j’étais impressionné. Je ne comprenais pas comment est-ce qu’il pouvait faire un dessin aussi parfait et aussi rapidement. » Un enfant calme et dans sa bulle, Jad développe librement ses inclinaisons créatives. « J’étais dans mon propre univers, passionné par le brillant, les paillettes, dans mon propre monde. » Une liberté que l'on retrouve également dans le travail du père. « Mon père est un avant-gardiste. Dans les années 90 et 2000, au Moyen-Orient, il a montré une sensualité digne et élégante. C’était encore rare à l’époque. » 

Dès son plus jeune âge, Jad occupe une place de choix aux premières loges, en observateur attentif, puis développe son œil, son intuiton et se met à participer à la conception des collections. « J’ai compris le pouvoir du vêtement. Ce que certaines pièces peuvent faire ressentir, quand on les crée, quand on les porte. » 

« Le plus important, c’est de respecter l’ADN de la Maison. » 

Le rôle de co-directeur artistique implique donc une nécessaire collaboration avec le père, qui se fait spontanément. « Il faut se comprendre, explique Jad. « Je m’ennuie vite, je suis impatient, mais j’ai vite compris que le processus de création est au cœur de tout. » Ce processus commence souvent par une émotion, puis un thème se dégage. « Ça vient d’une sensation, puis la collection prend forme. En tant que co-créateur, le plus important est de respecter l’ADN de la marque et de le mêler à ce que j’aime. » 

La Maison a également lancé sa ligne de prêt-à-porter, il y a quatre ans. « Dans les collections de prêt-à-porter, je me sens plus libre », explique-t-il La mode, c’est aussi être un caméléon. Si je n’écoutais que moi, si je créais uniquement en mon propre nom, peut-être que je ne mettrais pas de broderies, mais je dois respecter cet héritage. » Cette liberté créative lui permet de jouer avec des lignes plus modernes, des silhouettes plus détendues, tout en conservant l’exigence de qualité et de détails qui caractérisent la Maison Hobeika. « On attend d’une Maison avec cet héritage-là, une qualité exceptionnelle pour son prêt-à-porter. » 

À la fois consolidée par trente ans d’histoire et alignée sur les attentes et les goûts de la jeune clientèle, elle est, à travers Jad, propulsée dans le futur. Les clientes de la Maison Hobeika, très fidèles, viennent des quatre coins du monde, attirées par l’authenticité, la qualité et l’exclusivité des créations. 

« Un défilé doit faire rêver, créer un monde, raconter une histoire. C’est ça, le désir du luxe. » 

 Selon Jad, un défilé est bien plus qu'une simple présentation de vêtements ; il doit transporter le spectateur, lui offrir une immersion totale dans un univers singulier. Il évoque des défilés marquants comme ceux de Daniel Roseberry chez Schiaparelli ou les collections iconiques de Tom Ford chez Gucci, des défilés qui plongent dans des univers cohérents où chaque détail est conçu pour raconter une histoire. « C’est ça, le désir du luxe », souligne-t-il, exprimant l'importance de créer une vision globale, un récit qui embarque. 

Au Calendrier Officiel de la Semaine de la Haute Couture depuis janvier 2017, la Maison Georges Hobeika est une entité indépendante où tout est fait en interne, de la conception à la confection. L’atelier au Liban est aujoud’hui fort de 200 personnes. « On va bientôt déménager, il y a trop de monde », raconte Jad en souriant. la Maison incarne l’essence même d’une Maison de Couture : un savoir-faire exceptionnel dont elle assure fièrement la transmission.  

 

Reuben Attia.