Le regard de Viktor & Rolf
LE LUXE DU POINT DE VUE
Quatre yeux, une vision.
Entre eux, disent-ils il y a toujours eu les mots. Et avec le temps, les mots se sont faits presqu’invisibles, comme si la compréhension mutuelle se passait de balises. 2023 marque les trente ans de leur marque. A quoi ressemblera leur gâteau d’anniversaire ? Une pièce montée un peu penchée ? Sans doute pas. Viktor & Rolf déjouent un à un tous les pièges : ceux de la rétrospective, ceux de la célébration, et ceux de la haute couture dont ils défendent précisément l’héritage, en le détournant. En s’attaquant à ses « stéréotypes », ils voient juste, là, où trois décennies auraient pu les entraîner du côté de l’académisme.
L’œil à vif, ils jouent, détournent, sans rien renier de la technique, de ces robes cousues à la main, dans la grande tradition du bustier, du jupon, du corset, des « lovely colors ». Eux-mêmes parlent de « conceptual glamour ». Une manière de faire basculer tous les poncifs, autant que les robes dans le monde multidimensionnel de l’esprit. « Upside down » disent-ils, aussi souriant que flegmatiques. Ces corps traversés par d’autres corps, ce « gown » enfilé à l’envers, cette abracadabrantesque mise en abîme de la tradition devient avec eux, une leçon, une démonstration. Celle qui passe par un point de vue sans concession : là où tant de bons élèves trop appliqués se prennent les pieds dans l’exécution parfaite, ils trouvent un point d’honneur à lever les yeux vers le ciel, les mains dans le guidon du métier. Comme pour mieux redire avec Sartre que l’absurde, « c’est l’impossible », mais aussi : « c’est contradictoire »