Newton, Riviera
Célèbre pour ses séries de mode pour des magazines et pour ses collaborations avec des maisons comme Saint Laurent ou Mugler, Helmut Newton s’installe, en 1981, sur le Rocher. Dans ce décor artificiel baigné de soleil, le photographe continue sans relâche à expérimenter. Cette période monégasque est marquée par une grande liberté. L’écrivain et photographe Guillaume de Sardes, commissaire de l’exposition « Newton, Riviera » à la Villa Sauber du Nouveau Musée National de Monaco, revient sur le travail de ce monument de la photographie de mode.
De 1981 à 2004, Helmut Newton utilise Monaco comme décor. Y a-t-il des éléments particuliers dans son travail qui caractérisent cette période ?
Les années monégasques de Newton sont les plus libres de sa carrière. Sa célébrité lui permet d’aller au bout de ses idées. Il n’est plus limité par rien. Monaco lui sert de décors, que ce soit la piscine du Beach club ou les chantiers qui parsèment la ville. Newton développe alors sa série d’un glamour noir inspirée de scènes de crime. Il réalise aussi de nombreux portraits des beautiful people qui vivent là ou qui sont de passage. Il est à la fois l’acteur et le témoin privilégié de cette société à la fois splendide et artificielle.
La mode a largement contribué à la notoriété d’Helmut Newton. Diriez-vous que son travail a accompagné le processus de crédibilisation de la photographie de mode, longtemps méprisée pour son objet “commercial” ?
Sans doute, mais de manière indirecte, au sens où Newton a fait partie des premiers photographes de mode à passer des pages des magazines aux cimaises des galeries d’art et des musées. Ce passage symbolique a lieu en 1981, quand ses Big Nudes sont exposés dans la galerie parisienne de Daniel Templon. Deux ans plus tard, son travail est présenté au Musée d’art moderne de la ville de Paris. C’est une consécration.
Ce glissement a été rendu possible par le fait que les images de Newton excèdent le champ de la photographie de mode pour s’inscrire dans une histoire générale des images. C’est notamment ce que j’ai voulu montrer dans l’exposition « Newton, Riviera », en insistant sur les liens de Newton avec le mouvement Surréaliste. Il en reprend en effet les motifs les plus caractéristiques que sont la nuit, l’œil, la poupée, le miroir, le sadomasochisme.
Une salle est consacrée à son travail avec les danseurs du Ballet de Monte Carlo. Peut-on dire que le corps athlétique et gracieux de ces interprètes correspond à l’idéal newtonien ?
Absolument. Helmut Newton s’intéresserait avant tout à la plastique des corps. À cet égard, il est révélateur qu’il ait travaillé durant presque dix ans avec les danseurs des Ballets de Monte-Carlo sans jamais les photographier en train de danser ! Il a fait avec eux ce qu’il avait l’habitude de la faire avec des mannequins. Cette série réalisée à la demande de la Princesse Caroline vient confirmer l’intuition de Bernard Lamarche-Vadel qui a écrit à propos des Big Nudes : « La photographie n’existe pas, l’histoire de la statuaire continue. »
Au-delà de la nudité et de la sensualité, comment définiriez-vous la femme Newton ?
Un cliché consiste à dire que c’est une femme forte. Ce n’est pas faux. Newton aimait les femmes athlétiques et sûres d’elle-même et de leurs désirs. Mais tout cliché demande à être nuancé et il existe chez Newton des images plus ambiguës… Ce qui est certain est que les femmes occupent toujours le centre de l’image, au point qu’on pourrait parler à propos du monde Newton d’un monde sans homme. C’est d’ailleurs le titre qu’il a donné à un de ses livres.
Qu’est-ce qui rend la photographie d’Helmut Newton encore si pertinente de nos jours ?
Newton est devenu un classique et, à ce titre, il mérite d’être regardé et regardé encore, comme on relit sans cesse les pièces de Racine. Revoir Newton permet de comprendre tout ce que les photographes d’aujourd’hui lui doivent, mais aussi tout ce que Newton doit à ses prédécesseurs, notamment à Man Ray et Brassaï. Les images naissent des images, à l’infini.
Cet entretien a été légèrement modifié pour plus de clarté.
Newton, Riviera se tient au Nouveau Musée National de Monaco du 17 juin au 13 novembre 2022.