La ministre de la Culture en conversation sur la mode
Le lancement de la Paris Fashion Week® a été marqué, le mardi 17 janvier, par la visite de Madame la ministre de la Culture Rima Abdul Malak du SPHERE PFW® Showroom au Palais de Tokyo. Ce moment d’échange et de partage avec les jeunes créateurs affirme le soutien du ministère de la Culture envers la création émergente. Cette saison, huit marques sont intégrées au sein du SPHERE PFW® Showroom créé par la Fédération de la Haute Couture et de la Mode avec le soutien de LE DEFI et L’Oréal Paris. Après avoir rencontré chaque créateur, la ministre a échangé avec des journalistes. Voici quelques extraits de cette conversation.
Pouvez-vous nous parler du rôle du gouvernement en faveur de la mode ? Que faites-vous pour soutenir la mode ?
Il y a deux jambes qui marchent ensemble : la jambe du public, et la jambe du privé. La jambe du public sert à soutenir un écosystème d’écoles. Il y a l’État mais aussi les mairies, par exemple la mairie de Paris soutient l’école Duperré. C’est de soutenir des lieux culturels, comme le Palais de Tokyo, comme le Musée des Arts Décoratifs, qui sont aussi des espaces qui permettent de créer des liens entre la mode et les autres arts. La mode est un art qui s’est toujours déployé en lien avec la musique, la littérature, le cinéma, la danse et tant d’autres arts. On peut le vivre pleinement, l’expérimenter dans un lieu comme le Palais de Tokyo et c’est très important.
Nous soutenons des festivals, comme, par exemple le festival de Hyères. On voit ici comment cela les propulse pour la suite de leur carrière. Je lance par ailleurs un nouvel appel à projets France 2030, notre plan d’investissement destiné à structurer, développer les industries créatives dont évidemment la mode et le but est également de soutenir les métiers, les métiers d’art, les métiers de la mode dans toutes les régions en France, pas uniquement à Paris. On a vu certains s’installer à Nantes, travailler avec les fabricants locaux dans d’autres territoires et pas seulement à Paris. Cet appel à projets va permettre de développer des pôles territoriaux pour les métiers d’art du design et de la mode. Ces champs là aussi sont très connectés entre eux, pour aussi développer de l’emploi dans les régions, développer des filières de circuit court dans un esprit de développement durable, développer des formations, les talents, les métiers, pour transmettre tous ces savoir-faire.
Par ailleurs nous soutenons aussi le prix de l’ANDAM, que le ou la ministre de la Culture remet chaque année au Palais Royal et j’y tiens beaucoup. C’est tout cet écosystème que l’Etat peut soutenir. Notre enjeu est vraiment de regarder loin, et donc ce plan France 2030, pour susciter de nouvelles vocations, former des talents et territorialiser davantage notre action. Certes, les créateurs du monde entier viennent à Paris présenter leurs collections mais la mode se déploie partout en France. Les fabricants sont partout sur le territoire, les créateurs sont partout sur le territoire, les festivals sont partout sur le territoire. Et nous devons porter cette ambition territoriale.
Comment se porte la jeune création ?
Oui, je pense qu’ils en ont besoin avec la pandémie et toutes les crises qui suivent, les dérèglements climatiques, les crises géopolitiques, tout ça impacte la création. Ce sont aussi des moments de réinvention, d’innovation. Selon moi, ce qui ressort deux ans et demi après cette période difficile, ce sont les œuvres qui poussent encore plus loin les frontières de ce qu’on appelle la mode, et c’est réjouissant.
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué lors de cette rencontre avec les créateurs ?
Ce que j’en retiens, c’est un travail très intéressant sur les matériaux, la recherche de matériaux plus éco-responsables, remplacer le cuir par du coton gommé il me semble. Ce qui m’a beaucoup interpellé, parce que c’est une Fashion Week Homme, qui pose la question de qu’est-ce que le masculin ? Les vêtements qui peuvent être portés par des personnes qui se sentent homme, qui se sentent femme, qui se sentent quelque part entre les deux. Il y a cette liberté d’appréhension de ce qu’est le genre. C’est la liberté, il ne s’agit pas de nouvelles étiquettes ou de nouvelles assignations. On voit à quel point la mode reste l’art ultime de la liberté.
Le vêtement est très présent dans la sphère publique mais curieusement, la mode est un peu mise à l’écart par les universités françaises et par l’école, notamment. Qu’allez-vous faire pour que la mode qui est l’art de la différence, de la liberté, soit défendue ?
On le sent, la jeune génération – mais à tous les âges – se saisit tous les jours de la mode. Que ce soit sur TikTok où à l’école, du crop top au débat sur l’uniforme, cette question travaille nos quotidiens. Il y a à la fois un besoin de cohésion nationale dans ces moments de crise et un besoin de laisser chaque individu exprimer sa personnalité qui d’ailleurs évolue avec le temps. Nous changeons avec le temps, et la mode change avec nous. C’est ce juste équilibre que nous devons trouver en France, entre un apaisement des débats et le respect de la liberté de chacun.
La Paris Fashion Week attire beaucoup de créateurs internationaux. Pourquoi selon vous Paris reste le rêve ultime des créateurs ?
Heureusement ! Nous en sommes très fiers. C’est l’histoire de la France, de ce secteur qui a su propulser dans le monde entier la force de l’imagination. Je pense que Paris est la capitale de la création pour les artistes. Ils sont venus historiquement du monde entier y trouver la liberté. Plus on le défendra, plus on continuera à le porter fort avec des entreprises innovantes et des créateurs, plus on le restera. Je suis franco-libanaise et il y a des créateurs dans ma famille, dont Georges Chakra qui défilera bientôt au Palais de Tokyo. C’est très dur dans les pays en crise permanente et il faut leur dire que la France est là, qu’ils sont ici chez eux, dans un pays qui défendra toujours leur liberté de création. On a accueilli des créateurs ukrainiens partout en France, des étudiants qui sont dans nos écoles d’art. Cette faculté de la France d’être une terre d’accueil pour les artistes qui sont menacés dans leur pays ou qui n’arrivent pas à travailler dans leur pays pour des raisons économiques ou géopolitiques : nous devons continuer à porter ce flambeau.
Vous avez quitté le Liban dans des conditions difficiles, quel souvenir d’élégance y avait vous laissé ?
L’élégance est dans la poésie du quotidien. Pour moi, c’est l’élégance de ma grand-mère qui mettait une demi-heure à se coiffer le matin et s’habillait en étant très attentive à chaque détail et on allait descendre au sous-sol, dans l’abri parce qu’il y avait des bombardements. Cette élégance, c’est la dignité, alors même qu’on est en pleine guerre. C’est ça l’élégance.
Il semble que depuis l’élection de M. Macron, le gouvernement accorde une plus grande importance à la mode qu’auparavant. Comment expliquez-vous cela ?
Alors qu’il était ministre de l’Économie, il était déjà très convaincu et il sait la puissance économique que ça représente. Une puissance d’exportation, une puissance en termes d’emplois, mais aussi une puissance d’imaginaire et on a besoin de récits, de rêves, de magie et la mode porte cela.
Par ailleurs, on entend certaines critiques sur le luxe, ses prix, mais nous parlons de fabrication en France. Tout ce qu’on voit ici et toutes ces entreprises fabriquent en France. On a vu des créateurs qui ne mettent aucun plastique, aucun matériaux polluants, qui travaillent pour revitaliser l’emploi dans des petites villes en France. C’est tout ça l’industrie de la mode, de l’emploi, de l’attractivité pour les territoires, de l’exportation de talents, la puissance d’imagination. Je pense que le Président l’a très bien compris. La Première Dame est aussi très attentive à la mode. Nous avons eu la chance d’organiser à l’Élysée, notamment avec Pascal Morand, le deuxième dîner de la création juste avant le premier confinement. C’était un moment extraordinaire de réunir les créateurs internationaux dans un lieu aussi symbolique qu’est l’Élysée.
Comment les jeunes créateurs peuvent-ils se distinguer alors que les grands groupes mènent la danse ?
Nous soutenons le prix de l’ANDAM, ainsi qu’un appel à projets pour soutenir les acteurs de la mode notamment dans leur transition numérique et écologique. Nous sommes là pour les accompagner. Une collection peut être très réussie et celle d’après peut trouver moins son public. Ça fait partie des aléas de la création et il faut qu’on soit là pour les soutenir, les aider à prendre des risques.
Cette interview a été légèrement modifiée pour des raisons de longueur et de clarté.
Crédits photo : François Goizé