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“Cindy Sherman à la Fondation Louis Vuitton”, entretien avec Suzanne Pagé

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La Fondation Louis Vuitton présente l’exposition “Cindy Sherman à la Fondation Louis Vuitton” du 23/09/2020 au 03/01/2021. A cette occasion, nous avons rencontré Suzanne Pagé, directrice artistique de la Fondation et commissaire générale de l’exposition.


La fondation Louis Vuitton accueille la première exposition dédiée à Cindy Sherman à Paris depuis son exposition personnelle de 2006. En tant qu’artiste, elle a collaboré avec différents créateurs. Comment expliquer son intérêt pour la mode? 
Suzanne Pagé – On imagine Cindy enfermée dans son atelier puisqu’elle fait tout toute seule. On croit qu’elle n’est pas au fait de ce qu’il se passe dans le monde. Or c’est quelqu’un d’extrêmement engagé, qui connait très bien le monde de l’art et reste très attentive à aux problèmes sociétaux. Elle est donc extrêmement concernée par les préoccupations de beaucoup de gens, notamment la mode. Elle en est en très au fait, tout en étant « contre, tout contre ». Elle se sert de la mode et du vêtement pour créer des personnages, pas du tout comme une modeuse. 
Aujourd’hui, à travers la manipulation des images Instagram,  il est partout question de beauté idéale. Elle s’inscrit complètement contre cet idéal. Il se trouve que les créateurs se sont intéressés à elle et lui ont prêté des vêtements, avec une générosité formidable, en lui laissant la liberté d’en faire ce qu’elle voulait. Elle s’est servie de la mode, mais n’a jamais pensé à la servir. C’est le cadet de ses soucis. 

Diriez-vous que la mode l’inspire? 
Suzanne Pagé – La mode lui inspire à chaque fois un nouveau trait de psychologie sociétale. Par rapport aux femmes, mais aussi à tout ce qui relève de l’actualité, du flottement identitaire… Elle a été l’une des premières à anticiper le passage des genres. Depuis toujours, elle se mue en homme, aussi bien qu’en femme. Et la dernière série, qui n’avait jamais été montrée, est entièrement probante puisqu’il n’y a que des hommes. Des hommes qui n’affirment pas de façon verticale une masculinité claire. Leur masculinité est flottante, très humaine d’ailleurs. 

La technique de Sherman a évolué au fil du temps. Quel rapport entretient-elle avec les représentations actuelles, notamment après l’émergence des réseaux sociaux?
Suzanne Pagé – Ce qui est admirable, c’est l’évolution formelle formidable qu’elle a connue de ses petites photos en noir et blanc à Instagram, en passant par l’adoption de la couleur ou de photoshop. Elle adopte chaque nouvelle solution technique extrêmement rapidement pour créer des images de plus en plus frappantes sur le plan formel. La dernière (ses tapisseries récemment dévoilées) est encore une provocation pour l’esprit et l’oeil. Elle transforme une image totalement immatérielle, qu’elle obtient sur Instagram, en tapisserie, un support extrêmement classique et traditionnel. 
Le travail de Cindy a tout à voir avec la peinture. Elle travaille énormément le cadrage, les lumières, les couleurs, et impose une présence extraordinaire. Le parcours de l’exposition est jalonné de miroirs. Je me suis surprise à me regarder dans le miroir, en me sentant beaucoup moins présente que ses images. C’est tout son travail formel. Il y a ce que l’image représente, mais aussi le travail sur l’image qui est remarquable.