Alain Paul : « Je vois le vêtement comme une extension du corps et du muscle. »
La Maison ALAINPAUL explore le vestiaire de la danseuse et du danseur pour créer des pièces alliant liberté de mouvement et sophistication adaptée au quotidien. Fondée en 2023, l’ascension fulgurante de la Maison est le fruit d’une vision mûrie de ses co-fondateurs, Alain Paul et Luis Philippe, duo chevronné qui a su faire ses gammes auprès des grands avant de s’élancer.
La cigale ayant dansé tout le printemps-été se trouva fort convenue lorsque la mode fut venue. Alain Paul, danseur formé à l’École Nationale Supérieure de Danse de Marseille - aujourd’hui siège de la compagnie (La)Horde, s’est tourné vers la mode à ses 18 ans. C’était un pas de côté, en dehors du parcours académique de danseur qu’il menait assidûment depuis ses 9 ans. « Ce milieu est comme une bulle, je suivais, mais j’étais le plus excentrique ! » se souvient-il en souriant. « La mode a toujours été une façon de m’exprimer, de m’assumer. J’ai cousu mes premiers vêtements pour des représentations… C’était très spontané, et beaucoup de stylisme. » Cette formation, hautement disciplinaire, infuse son travail de créateur. « Mes collections sont profondément liées à mon passé dans la danse. C’est l’ADN de la marque. » Pour lui, le vêtement n’est plus un simple habit, mais le prolongement naturel du mouvement du corps. Sa troisième collection – et première présentée dans le Calendrier Officiel de la Paris Fashion Week® – exprime « une conscience du corps, une liberté. Je vois le vêtement comme une extension du corps et du muscle. »
« Je veux apporter le vestiaire de la danseuse et du danseur dans la rue. »
La collection printemps-été 2025, intitulée « Impro », s’inspire du travail de Merce Cunningham, chorégraphe américain majeur du 20ᵉ siècle, pionnier de la danse contemporaine, esprit visionnaire et avant-gardiste. « Pour lui, la création du mouvement est spontanée, libre ». Concrètement, la garde-robe du danseur et de la danseuse tient en peu de pièces. « Le justaucorps, les collants et le pantalon d’échauffement » résume-t-il en précisant dans la foulée que son vêtement « doit accompagner tous les corps ». Ses collections mêlent les genres, comme une évidence. « C’est un jeu. On retrouve une réinterprétation du pantalon fuseau, dans le trench, dans la maille. Et beaucoup de tissus avec du stretch. Des tissus nobles, de la crêpe, de la maille, qui accompagnent le corps à chaque pas pour créer une émotion. » raconte-t-il avec l’enthousiasme des grands passionnés. Les dessins et schémas de chorégraphies de Merce Cunningham ont même été repris en imprimé pour cette nouvelle collection.
« C’est important que le public soit sur scène, qu’ils ressentent les coulisses, qu’ils vivent la tension, la lumière dans les yeux. »
Les défilés de la Maison ALAINPAUL se tiennent sur la scène du Théâtre du Châtelet. « On cherchait une scène assez grande et l’équipe a été touchée par notre histoire, l’entente est géniale », raconte-t-il. Pas question pour le créatif d’installer les gens dans le public, mais sur scène, pour que l’immersion soit la plus totale. Comme un danseur qui se concentre juste avant de monter sur scène… ce trac, cette tension dramaturgique. « Je vois le défilé comme une performance, comme une chorégraphie. », sourit-il. Lors de son précédent défilé, il est allé jusqu’à faire écouter « le son des mouvements, des chaussons qui grincent contre le sol. Ça a duré deux minutes, c’était très intense. » Pour le son, la Maison travaille avec le compositeur Senjan Jansen (Senstudio), basé à Anvers. « Il comprend où je veux emmener le crescendo du défilé, les temps de pause, comment nous emmener dans un univers. »
« Virgil Abloh a été ma plus belle rencontre, artistiquement comme humainement. »
Les premières expériences professionnelles d’Alain Paul sont déterminantes. Il rejoint la Maison VETEMENTS en 2014 sous la direction artistique de Demna et la direction exécutive de Guram Gvasalia, et se trouve aux premières loges de l’explosion de la marque. Il y découvre ce secteur et le fonctionnement d’une marque indépendante au profil singulier. S’ensuit sa rencontre avec Virgil Abloh, inédite. Le 22 mai 2015, Marques'Almeida remporte le Prix LVMH. Parmi les sept autres finalistes parvenus jusque-là, se trouvent VETEMENTS (avec Alain Paul, donc) et OFF-WHITE, fondée en 2012, d’abord sous le nom de "PYREX VISION" par Virgil Abloh. « On a donc célébré les perdants dans les bureaux de VETEMENTS avec OFF-WHITE. C’était une rencontre organique avec une personne extraordinaire. »
Virgil Abloh est nommé en 2018 à la tête de la division Homme de Louis Vuitton. Alain Paul rejoint sa profusion créative dont il tirera les armes pour se lancer ensuite dans le grand bain. « Il avait une approche de dire que tout est possible, c’était important de tout remettre en question. » Il se souvient du créateur qui arrive à l’atelier en demandant « What is tailoring today ? What can we bring to it ? What is blue jeans and white shirt ? ». « J’ai gardé ça, de toujours questionner le pourquoi et le comment. »
« Je savais profondément depuis toujours que je créerai une Maison. »
La Maison ALAINPAUL a été créé à quatre mains. Alain Paul à la tête créative, et Luis Philippe à la stratégie. « Store Manager / Visual Merchandiser » de l’iconique (un adjectif galvaudé, certes, mais pour une fois tout à fait adapté) concept-store Colette de 2012 à 2017. Il y cultive son œil, son savoir, son réseau. « On avait collaboré plusieurs fois avec Virgil Abloh. Chez Colette, nous avions beaucoup de lancements en avant-première. » se souvient-il. Dès lors, les missions s’enchaînent dans différentes Maisons aux profils variés. Balenciaga, Alaïa, Sacai, Jacquemus : c’est en faisant qu’on apprend. Avec Alain Paul, ils travaillent main dans la main : « C’est sa vision, c’est lui qui chorégraphie la marque », affirme-t-il, regardant son partenaire en souriant. L’osmose est évidente.
« Ce n’est pas parce qu’on est libres créativement qu’on doit couper bord franc. »
L’excellence technique est nécessaire pour concrétiser une vision créative « Je suis fasciné par le savoir-faire, les tailleurs, les coupes impeccables. » explique Alain Paul, pour qui l’amour du travail bien fait sonne comme une évidence. On reconnaît bien là l’exigence disciplinaire du danseur. On n’est libre créativement que lorsqu’on connaît les règles.
Cette notion d’excellence est en parfaite adéquation avec l’engagement écologique de la Maison. « Quand on investit dans une pièce ALAINPAUL, c’est pour la garder longtemps », souligne le binôme, qui précise travailler avec NONA Source depuis ses débuts, la plateforme de revente de matières d’exception provenant des Maisons du groupe LVMH. « Les pièces sont en 100% laine, 100% coton, nous ne voulons pas de mélange parce que c’est beaucoup plus compliqué à recycler. Pas de polyester non plus ! » assène-t-il. Le virage écologique de ce secteur ne peut se faire en une nuit et relève de l’implication quotidienne de chacun, petit à petit. « Le monde de la mode tourne comme un paquebot, on essaye de contribuer à ce mouvement » conclut sagement Luis Philippe. L’engagement écologique est évident quand on crée une nouvelle marque. Ça n’aurait pas eu de sens de ne pas en avoir un », enchérit Alain Paul.