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Les ambitions de l’Institut Français de la Mode

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L’Institut Français de la Mode présente pour la première fois un défilé de ses étudiants et inaugure le calendrier officiel de la Fashion Week de Paris avec son gradutate show. C’est aussi la première fois que la Paris Fashion Week accueille une institution qui n’est pas une marque. Les 48 étudiants du Master of Arts in Fashion Design, diplômés à la fin de l’année, présentent chacun une collection, synthèse de leur apprentissage à l’école et de leur expression individuelle.

Le Master of Arts de l’IFM couvre le périmètre actuel de la création dans la mode : le vêtement, l’accessoire et l’image de mode. Il comprend six spécialisations qui sont toutes présentées dans ce film réalisé avec l’agence Titre Provisoire : Womenswear, Menswear, Knitwear, Footwear, Leather Goods et Image. Ce défilé est entièrement filmé dans les murs de l’Institut Français de la Mode et correspond à l’inauguration du nouveau campus : un espace de 9000 m² qui accueillera à terme 1200 étudiants. Conçu autour de studios, d’ateliers techniques et d’un fablab permettant de prototyper tous leurs travaux, ce nouveau campus veut être un lieu d’échanges, de foisonnement culturel et de conception artistique, animé par des étudiants qui viennent d’une cinquantaine de pays différents.

Ce graduate show constitue une étape très importante pour l’IFM et il est l’occasion de se pencher sur l’évolution de l’école initiée il y a deux ans. Xavier Romatet, son directeur général depuis le mois de septembre 2019, nous fait part de l’ambition de l’IFM dans l’écosystème français et international de la mode. 

Pourquoi l’Institut Français de la Mode a-t-il décidé de défiler au calendrier officiel de la Fashion Week et que signifie cette nouvelle prise de position dans l’écosystème de la mode ? 

Ce premier défilé officiel concrétise l’ambition de l’Institut Français de la Mode de devenir une école de référence mondiale dans la formation à tous les métiers de la mode et du luxe, regroupés autour du management, du savoir-faire et de la création. Il démontre aussi la capacité de l’Institut à développer le talent créatif de ses étudiants : défiler à Paris, c’est mettre la création au cœur du projet de l’IFM et affirmer que c’est par la création que l’école rayonnera dans la mode et  suscitera une attraction vers Paris. La création construit notre image et  notre réputation. Cette réputation repose sur trois notions fortes : l’excellence, la différence et la préférence. 

L’excellence, c’est l’exigence absolue, et notamment créative. Ce défilé est un point de départ qui montre et démontre le niveau créatif de l’IFM et qui nous permet d’être vu, reconnu et apprécié par tous ceux qui s’intéressent à la mode. La différence repose sur la diversité sociale et culturelle. Ces 48 étudiants représentent une vingtaine de nationalités différentes, autant de pays, de trajectoires, d’histoires personnelles et donc d’inspirations différentes. Cette richesse et cette mixité se ressentent dans l’extraordinaire profusion de style et d’exécution de chacun de ces designers. Exécution, car la parfaite maîtrise technique est aussi ce qui fait la différence de l’IFM. La maîtrise technique et technologique (prototypage, conception assistée par ordinateur, 3D…) sont le point de départ de la liberté artistique et de l’expression stylistique. Plus la maîtrise est forte, plus le territoire d’expression artistique est élevé. Et toutes les créations, ou presque, des étudiants, ont été réalisées à l’IFM grâce aux équipements, aux machines et au fablab qui ont permis de prototyper sacs, chaussures, vêtements, maille… 

Enfin, la préférence, qui signifie une façon de faire qui nous est propre, et qui se retrouve autant dans les travaux de nos designers que dans leur façon d’être. Cette préférence c’est cette patte, cette singularité de l’IFM qui permettent de reconnaître qu’un étudiant a été formé chez nous. Ce que les Anglo-Saxons appellent ce “je-ne-sais-quoi”. Voilà les valeurs et les enjeux de l’école que nous développons aujourd’hui. 

Cette promotion de 48 étudiants, issus d’une vingtaine de nationalités différentes, est la première à être diplômée de ce nouveau Master. Quelles sont les particularités de leur formation ?

L’IFM a maintenant un programme de création installé, qui va du Bachelor au Master. Un programme complet de cinq ans qui permet à l’école de devenir une référence en matière de création. 

La formation créative repose sur trois composantes : la maîtrise technique et technologique, développée pendant le Bachelor, l’acquisition d’un bagage culturel pour favoriser l’émancipation créative, et enfin le développement du style. La mode est à la fois un inspirateur et un formidable révélateur des mouvements de société. Il faut donc aiguiser la curiosité, ouvrir les esprits, développer l’esprit critique, par l’enseignement de l’histoire de la mode, de la culture de mode, de l’art… Nos étudiants doivent comprendre par exemple ce que signifie l’identité culturelle pour pouvoir appréhender les enjeux actuels. Une ville comme Paris est un catalyseur formidable, et l’IFM bénéficie de partenariats avec de nombreuses institutions comme le Centre national de la danse, la Cinémathèque, Beaubourg, le Bataclan et bien d’autres encore. Nous savons que le processus créatif démarre par une émotion, provoquée et ressentie, qui suscite un cheminement et aboutit à une idée fondatrice. Ce peut être une silhouette, une peinture, une photo ou un morceau de musique, un personnage. Quant au style, il est développé par des intervenants qui sont souvent des designers qui travaillent en studio et qui accompagnent nos programmes, et grâce aux marques et maisons qui font travailler les étudiants sur des cas concrets, des collections, des produits. 

L’IFM a fait le choix de spécialiser son enseignement en Master en 6 majeures limitées à 10 étudiants chacune. Parmi celles-ci, on trouve notamment la maille et les chaussures ou les accessoires ce qui est très rare par rapport à d’autres écoles alors que ces spécialités sont primordiales pour les studios aujourd’hui. Pour la maille, nous avons un équipement de machines industrielles exceptionnel, et cela se reflète dans les collections réalisées cette année. La spécialisation nous semble indispensable, on ne forme pas un designer chaussure comme on forme un designer vêtement ou accessoire. La mode s’universalise, mais les savoir-faire se spécialisent.

Quelles sont vos observations sur les collections présentées ? 

Cette première promotion a passé cinq mois confinée et hors de l’école. Sur un cursus de dix-huit mois, c’est beaucoup. J’en profite pour rendre hommage à ces étudiants qui ont supporté une période très difficile. On aurait pu penser que cette période de remise en cause entraînerait une créativité plus sombre, mais ça n’a pas du tout été le cas pour nos étudiants. La Covid a été une source d’inspiration, mais qui ne les a pas bridés. Au contraire, on trouve de la couleur dans ces collections, de l’amplitude, du confort, de la générosité, et un état d’esprit globalement positif. Sans faire de généralités sur ces 48 talents, on peut dire que leur expression est généreuse et ouverte, il n’y a pas eu d’effet récessif ou négatif mais plutôt une exploration de nouvelles contraintes qui sont intégrées dans une réflexion constructive.

Nous sommes en mars 2021. En janvier 2019, l’IFM a fusionné avec l’École de la chambre syndicale de la couture parisienne et se lance dans d’importants travaux pour pouvoir accueillir à terme plus de 1200 étudiants. En janvier de cette année, le nouvel Institut Français de la Mode a inauguré une partie de son nouveau campus. Quelle est l’importance de ce campus physique dans le projet de l’école ?

L’importance d’avoir un campus physique, c’est avant tout évidemment parce que la création de mode est un acte physique. C’est important d’avoir un lieu de travail. Un lieu pour la mode et qui “sent la mode” comme me le disent les différentes personnes qui ont vu le nouveau campus depuis janvier. Les studios de création sont au centre du bâtiment, dans des salles vitrées tout en transparence et donc très visibles, on y voit véritablement ce qui s’y passe. Ce campus est donc un lieu qui exprime le côté charnel de la mode, qui n’est pas un objet virtuel mais quelque chose qui se “fait”, depuis la conception à l’élaboration et la fabrication du produit. 

C’est ensuite un lieu de rencontres des étudiants des différents programmes, qui se mélangent entre création, savoir-faire et management. Ce mélange est la spécificité de l’IFM. La mission de l’école est de faire un produit de mode, mais aussi de le fabriquer, de le distribuer, d’en faire le marketing et de savoir communiquer. La cohabitation dans un lieu commun de l’ensemble des professions qui vont travailler dans l’industrie de la mode, fait de ce campus un terreau de connexion et de compréhension du langage des uns et des autres. Il prépare donc à la vie future, à la vraie vie en entreprise.

Enfin, ce lieu physique doit être un lieu de brassage. Dans quelques mois, quand nous aurons 1000 étudiants et 9000m2 de campus, nous serons dépassés par la vague que nous avons créée. Et c’est nécessaire car c’est cette vague de mixité, cette abondance et cette richesse culturelle, exprimées de multiples façons, qui vont faire de l’IFM, situé au coeur de Paris au bord de la Seine, entouré de cafés et de boîtes de nuit, un lieu de rencontres pour la mode au sens large. Nous voulons ouvrir notre campus aux étudiants, mais aussi à des collaborations extérieures, des partenariats avec l’industrie, ou avec des jeunes créateurs au travers de nos programmes entrepreneurs et IFM Labels. Ce lieu nous permettra non pas de nous enfermer mais de nous ouvrir et accueillir, de créer à Paris un lieu où il se passe constamment quelque chose dans la mode. Un lieu où toutes les cultures se croisent. C’est toute l’ambition de ce campus qui est beaucoup plus qu’une école au sens traditionnel du terme.

Pourquoi est-ce important d’avoir une école telle que l’Institut Français de la Mode en France, et quel rôle l’industrie peut-elle, ou doit-elle, tenir pour la soutenir ? 

L’IFM a la chance de bénéficier du soutien de la profession. C’est un des rares lieux où les acteurs mondiaux du luxe et de la mode, tels que LVMH, Chanel, Kering, Hermès, Richemont et d’autres marques se sont mis d’accord pour porter ce projet, le financer et s’y impliquer personnellement en étant présents, en mettant des équipes à disposition des élèves, en faisant venir des designers pour les accompagner, en participant à des jurys, en proposant des cas stratégiques pour nous ouvrir leurs ateliers, leurs usines et leurs différents départements, et enfin en accueillant des étudiants en stage, en apprentissage, et en premier emploi. À côté de cette formidable intégration, je constate qu’un certain nombre de médias ou d’acteurs attendent toujours un peu que les choses se soient installées avant de les soutenir franchement, contrairement à ce qui se passe pour les écoles anglo-saxonnes par exemple, très intégrées dans l’écosystème de la mode. Il y a toujours une attitude un peu critique face à quelque chose de nouveau en France, on préfère que la vision soit confirmée, peut-être regarder chez les autres avant de regarder chez soi. Cela vient aussi sans doute de l’image que l’éducation a en France, qui peut paraître désuète ou un peu ringarde. Alors que dans les pays anglo-saxons, lorsqu’un designer passe un an dans une école de mode ou va donner des cours, c’est valorisant. Pourtant, ce n’est pas tous les jours que la France décide de créer collectivement un projet d’ambition mondiale dans la mode. Je souhaiterais donc que ce projet ne soit pas celui de quelques-uns, mais de toute la profession. La bataille de la mode est une bataille mondiale. La France a encore une chance dans ce domaine parce que Paris est encore la capitale de la mode.  Et pour que la France et Paris puissent continuer à rayonner au niveau mondial, une grande école de mode est un formidable vecteur d’attractivité et de puissance. Nous avons donc besoin du soutien de tous, et notamment des médias français qui ont tout intérêt à être solidaires car cette ambition universelle rejaillira sur Paris et sur tout ce qui s’y passe. 

Quelles sont les étapes suivantes, les prochaines questions soulevées par ce programme de création ?

Si nous voulons être une école reconnue dans la création, nous devons être capable d’être une école d’anticipation et d’intégrer toutes les nouvelles formes d’inspiration et d’expression créatives. L’expression stylistique et la maîtrise technique qui font partie de la tradition parisienne et qui se retrouvent à l’IFM, sont des éléments primordiaux de notre différenciation par rapport au reste du monde. Au-delà  de cette maîtrise, il faut que nous développions notre capacité d’anticipation et devenions un laboratoire  pour l’avenir. À côté de cette tradition liée aux grandes institutions de luxe et de mode, nous devons peut-être parfois apprendre à nous radicaliser. Nous devons aussi observer et anticiper toutes les sources de culture et de sous-culture, qu’elles proviennent des réseaux sociaux, de l’industrie de la musique ou du développement toujours croissant de l’industrie du gaming. Nous devons aussi être conscients du fait que de plus en plus de profils de designers nommés à la tête de certaines maisons sont avant tout des orchestrateurs et des communicants plus encore que des couturiers. Aujourd’hui, nous devons peut-être être capables de former des designers qui sont aussi des metteurs en scène. Il n’y a pas de réponse claire à apporter à ce stade, mais il faut appréhender ces mouvements pour ne pas rester figé dans un système et demeurer universel.