Haut les mains: Kobi Halperin (Ungaro)
Le grand salon de la maison Ungaro ressemble à un bouquet de fleurs éparses. Des pois de senteurs, des tournesols, des roses imprimées, on pourrait être chez Moulié ou chez Lachaume. Les mains de Kobi Halperin font des ronds dans l’air, on dirait que tout ce qu’il évoque se transforme en un bosquet d’images retrouvées. Celles de son enfance, quand, à Tel Aviv, élevé dans une famille religieuse, il dessinait ses premières silhouettes sur les pages de la Bible. « En Europe, aux États Unis, les élèves des écoles de mode peuvent choisir entre un tissu et un autre. Nous n’avions rien, il fallait tout inventer ». Depuis juin 2021, Kobi Halperin est le nouveau directeur artistique d’Ungaro. Ex étudiant au Shenkar College, il vit à New York, où il a travaillé pendant 13 ans comme directeur artistique d’Elie Tahari, puis chez Kenneth Cole. Qu’il parle de ses mains ou de celles de sa grand-mère, qui a quatre-vingts ans, portait encore des gants blancs, celles encore de sa tante, aux ongles finement vernis de rouge, il assure que tout chez lui, toute son histoire, toute son éducation, sa mémoire, le relie à cette histoire de gestes, de savoir-faire, précisément parce que « dans un monde de plus en plus digital, les mains sont les dernières gardiennes du sentiment, de notre attachement à tout ce que nous aimons ». Il a grandi dans ce monde où chaque repas se devait être précédé d’un rite d’ablution, de purification des mains. A son poignet droit, un filet Khamsa, la main porte bonheur. Sa famille vient de Hongrie, et depuis toujours, il a gardé un lien très européen avec les objets : « Je n’ai jamais pleuré pour un jouet, mais pour une porcelaine, oui… » Tout commence donc par le dessin, au crayon, puis au marker noir, pour « fixer la silhouette » même le trait est d’abord mouvement. « Un beau vêtement bouge sur le corps ». En témoigne ces fourreaux de crêpe parsemés de pois, ces dos de lin légèrement smockés, comme à l’image fixe, il préférait le travelling, caméra stylo en main. Tout vole, tout bouge, une main invisible allège la nuit de haute couture qui se métamorphose en après-midi de pretty woman, les papillons brodés se posent dans un souffle. Les manches sont particulièrement travaillées, ajourées, volantées, les poignets s’ouvrent en corolles tissées. « La main rassemble, tisse des liens. Les mains nous racontent. La vraie beauté est dans l’imperfection, et seules les mains nous parlent d’elle… » @laurence-benaim